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La lutte contre le patriarcat, partie intégrante de la lutte pour la libération totale

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Kalinov Most #2 Avril 2018.

LA LUTTE CONTRE LE PATRIARCAT, PARTIE INTÉGRANTE DE LA LUTTE POUR LA LIBÉRATION TOTALE

Lorsque nous parlons de la lutte contre l’Autorité dans ses différentes expressions, il ne s’agit pas seulement des différentes formes que peuvent prendre l’Etat et le Capital, mais de l’ensemble des mécanismes de pouvoir qui, de façon systématique, entravent, nient, piétinent la liberté individuelle.

Le patriarcat est l’un des piliers du système de domination dans lequel il nous est donné de vivre et de lutter et c’est à ce titre que nous voulons le combattre dans ses différentes manifestations. Nous ne voyons donc pas la lutte contre le patriarcat comme pour obtenir quelques améliorations de - et dans le cadre de - l’existant. A l’instar de combats contre d’autres oppressions, elle vise pour nous, qui écrivons ce texte, à rompre les chaines qui nous sont imposées. C’est aussi pourquoi nous refusons d’en faire une question accessoire censée se résoudre de façon mécanique à l’heure de quelque « Grand soir », et il nous importe de nous en emparer ici et maintenant, dans une perspective de libération individuelle et collective.

Nous n’avons pas la prétention de dresser en quelques pages un tableau exhaustif de toutes les dimensions et expressions de la lutte contre la société patriarcale, mais nous aimerions apporter quelques éclairages sur certains points qui nous semblent importants et esquisser des pistes d’analyse et d’intervention sur des bases antiautoritaires.

IDENTIFIER CERTAINSCANISMES POUR MIEUX LES COMBATTRE

L’assignation à un genre est un fait. Dès le plus jeune âge, un ensemble complexe de dispositifs nous contraint dans les catégories binaires masculin/féminin, chacune d’entre elles étant associée à des caractéristiques générales et des modèles sociaux. Tout au long de notre existence, nous serons sommé-e-s de nous laisser définir, et/ou de nous définir selon cette ligne de démarcation biologique et en tant que telle supposément incontestable. De là découlent en effet un nombre non négligeable de statuts, de rôles, d’attributs, de normes qui peuvent certes varier selon les endroits et les moments - et s’appliquer différemment selon la position occupée dans la société -, mais où la construction sociale du genre reste déterminante. En même temps qu’elle apparaît clairement comme un des éléments structurants les différents codes pénaux, civils, moraux et religieux, elle influe sur nos interactions quotidiennes avec les autres et jusque dans notre rapport à nous-mêmes, quoi qu’il nous en coûte.

Parler de systèmes patriarcaux ne relève pas de quelque vue de l’esprit, lorsque des institutions religieuses, politiques, administratives, juridiques, ont gravé durant des siècles dans les tables de la loi la prétendue supériorité d’une partie de la population - les généralisations ne sont pas de notre fait. On ne compte pas le nombre de mythes et autres théories fumeuses justifiant la prééminence des hommes dans un ordre social basé sur bien d’autres hiérarchies encore. Un tas d’arguments faisant référence à l’« ordre naturel des choses » sont ainsi destinés expliquer (y compris scientifiquement) la prétendue infériorité des femmes - allant de leur supposée passivité dans les rapports sexuels à leur assimilation, en tant qu’éternelles mineures, aux enfants qu’elles vont immanquablement mettre au monde, en passant par leur fragilité intrinsèque etc. etc. Ce ramassis de conneries venant alimenter et entériner l’imposition d’une relation de soumission et de subordination à tous les niveaux ne peut que susciter notre haine et notre dégoût.

Certes, ces rapports de pouvoir ont parfois évolué au fil des temps, du fait des résistances et de leur remise en cause théorique et pratique, ainsi que des adaptations de la domination. Pourtant, nous sommes beaucoup trop nombreuses à nous être vu asséner, de générations en générations, à l’église, à l’école, à la maison et dans la rue qu’en échange de leur virile protection (contre qui ou contre quoi exactement ? ?), il faudrait nous soumettre sans broncher à l’autorité du père, du frère, du mari ... Par le dressage et les ordres, le conditionnement et les mises en garde, énormément de femmes apprennent encore que, conformément aux rapports de possession communément admis, il leur faudrait gérer la prédation sexuelle qu’elles « peuvent provoquer » ; entériner comme leurs ainées que la procréation fait partie de leurs attributions, pour le plus grand bien de l’espèce et de la patrie ; admettre que les tâches domestiques leur incombent, entre autres obligations ... Et tout autour du globe, un nombre infini de personnes se font rappeler brutalement à l’ordre en cas de non-respect des normes de genres et de sexualités en vigueur.

Ceci étant posé, reste à savoir ce que nous entendons faire de ces constats et contre les mécanismes qui les sous-tendent, non seulement pour éviter de les reproduire, individuellement et collectivement, mais aussi pour les attaquer dans leurs fondements.

En ce oui nous concerne, nous faisons comme d’autres l’expérience de ce que signifie, très concrètement et avec diverses implications, le fait d’être régulièrement renvoyées à la catégorie « femme ». Cela fait indéniablement partie des moteurs qui nous poussent à nous rebeller à la première personne contre les modèles - notamment patriarcaux - imposés, comme ça a été et ça reste le cas pour beaucoup de réfractaires au genre. C’est aussi sans doute pourquoi cette dimension est aussi présente dans des révoltes, luttes et activités de toutes sortes, ayant différents points de départ, et nous avons conscience que le fait de n’en évoquer qu’une infime partie est une des limites de ce texte.

Partant de là, nous ne voulons pas pour autant reprendre à notre compte quelque identité, concept qui soulève à notre avis un certain nombre de problèmes. D’un côté, revendiquer une catégorie imposée, y compris pour tenter de la détourner ou de la retourner contre le rapport d’oppression dont elle découle, amène souvent à certaines simplifications. Entre autres conséquence, cela peut conduire à laisser de côté les différentes autres strates de domination qui structurent la société et nous traversent en tant qu’individus, en gommant des divergences de fond au nom d’« intérêts communs ». Surtout, cela tend selon nous à restreindre les différentes individualités, avec leurs parcours et imaginaires. En posant un intérieur et un extérieur, n’importe quelle identité qui excède des critères et des choix individuels, fixe des limites plus ou moins arbitraires à qui en fait partie ou pas. En matière de genre, comme dans d’autres, cela peut donner lieu à des phénomènes d’essentialisation reproduisant un certain déterminisme biologique avec une nébuleuse de caractéristiques et de paramètres généraux, à nouveau plaqués sur les individus. Même si nous reviendrons plus tard sur le sujet, précisons d’ores et déjà que la décision de s’organiser avec d’autres personnes particulièrement visées par la domination patriarcale n’implique pas pour nous la création d’une identité.

Les contradictions que suppose le fait même de partir d’une situation d’aliénation ne sont pas les moindres des obstacles à affronter pour celles et ceux qui se lancent en quête de liberté. Pour autant, nous ne renonçons ni à nous battre, ni à tenter de poser des mots sur ces combats, tout en ayant en tête que le langage, aussi forgé par le pouvoir, est imprégné par une fonction normative et coercitive à laquelle il est difficile d’échapper.

VOLTES, RÉVOLUTIONS ET LUTTE CONTRE LE PATRIARCAT

Le traitement des activités révolutionnaires des femmes par l’histoire officielle pourrait faire l’objet d’un chapitre à part entière, tant le récit qui en est fait (ou pas d’ailleurs) reflète les préjugés en cours. Lorsqu’elle n’est pas simplement passée sous silence, il arrive fréquemment que la participation de certaines femmes à des processus insurrectionnels ou à des interventions révolutionnaires soit minimisée en faisant d’elles, comme de coutume, la fille, la sœur, la mère, la femme, la compagne... de tel ou tel. Elle se voit aussi souvent caricaturée et affublée de stéréotypes allant de la mégère à la sainte, vierge rouge ou noire. Certaines figures de femmes émergent aussi comme des apparitions extraordinaires, non pas de par leurs idées et aspirations propres, ou pour mettre en relief les conditions leur rendant la tâche encore plus difficile, mais pour exhiber des traits de caractère qui les rendraient comparables à des hommes.

Nous n’entendons pas pour autant rentrer sur le terrain miné de quelque héroïque compétition, en faisant l’éloge inconditionnel de toutes les femmes ayant eu des activités révolutionnaires. Comme bien d’autres, les compagnonnes anarchistes qui ont mis en jeu leur liberté et leur vie pour monter des imprimeries clandestines et des laboratoires d’explosifs autour de 1905 dans la Russie tsariste et celles qui, à l’instar de Maria Nikiforova ou Fanny Kaplan, ont poursuivi le combat pour la Révolution sociale en 1917 et après, sont aujourd’hui encore des sources d’inspiration. Leurs parcours de vie et de lutte nous parlent à de nombreux égards, mais nous n’allons pas pour autant les ériger en icônes, qu’elles ont souhaité si ardemment détruire. Par ailleurs, nous refusons décidément d’instrumentaliser à notre tour les combattantes de quelque armée, où l’« égalité » consiste à ravaler tout le monde au rang d’uniforme obéissant.

Les traces que des femmes ont, malgré tout, laissées dans des soulèvements contre les puissants émancipatrices, ne nous amène pas à les considérer comme un tout homogène, mais en plus de l’individualité, des idées, des motivations, des aspirations propres à chacune, à voir comment beaucoup d’entre elles ont lié l’émancipation de leur condition particulière à une perspective de libération générale.

Les insurrections surgissent souvent de situations très concrètes d’oppression et lorsqu’elles donnent lieu à des processus révolutionnaires, c’est l’ensemble de l’existant qui est posé sur la table.

C’est probablement ce qu’ont vécu de nombreuses paysannes qui, se lançant dans de nombreuses émeutes de la faim, prélude à ce que l’on a appelé la Révolution française, ne se sont pas non plus contentées de pain. Elles ont aussi alimenté le processus en cours de leurs désirs et nécessités, par exemple de s’instruire, dans l’espoir d’en finir avec l’ignorance qu’elles voyaient comme le terreau propice à leur asservissement, notamment sous le joug de l’Eglise. Par la suite, certaines ont aussi exigé des armes pour pouvoir elles aussi se battre pour la liberté.

Face à l’entrée des Versaillais venus mettre un terme à la Commune de Paris, des comités de femmes insurgées pour leurs raisons lançaient encore du haut des barricades : « Non, ce n’est pas la paix, mais bien la guerre à outrance que les travailleuses de Paris viennent réclamer. Aujourd’hui, une conciliation serait une trahison ».

Les exigences d’indépendance et d’autonomie ont constamment animé - et continuent à motiver - beaucoup de femmes au cours de révoltes et d’insurrections dans le monde entier, les « printemps arabes » ou les récents soulèvements en Iran en sont des exemples parmi d’autres.

Hors processus révolutionnaires, l’affranchissement reste forcément limité et passe par des chemins non dépourvus de contradictions. Cela a été et est encore le cas pour l’aspect financier, difficilement séparable de l’exploitation salariée. Sans en faire la panacée, des ouvrières ont aussi pris le travail comme un champ de batailles, leur permettant de sortir de la tutelle imposée par le mariage - en 1889, le journal anarchiste le Révolté, en faveur de l’union libre, préconisait à cet égard de brûler les registres de l’état civil. Se heurtant souvent à l’hostilité de leurs maris et de leurs collègues masculins, qui les considéraient comme des concurrentes, elles n’en ont pas moins appelé au sabotage et à la grève générale.

Les luttes sur des revendications partielles soulèvent inévitablement le problème du réformisme et de l’aménagement des chaînes qui nous oppriment et il ne peut en aller autrement sur la question de l’« égalité » dans un monde basé sur l’exploitation et la domination. Il nous semble cependant essentiel de faire la différence entre des revendications de droits, se satisfaisant des cadres existants, et des luttes qui, quoique partant sur des revendications particulières gardent en ligne de mire des perspectives de bouleversement profond. Ainsi, en liant la dénonciation de certaines injustices à des appels plus généraux à la révolte, en s’auto-organisant plutôt que d’avoir recours aux instruments de la politique et de la loi, en ne se contentant pas de réclamer le droit à, mais en tentant de créer des possibilités par l’action directe, de nombreuses femmes, comme tant d’autres personnes estampillées comme « anormales », contribuent à alimenter des tensions émancipatrices et, parfois, le feu insurrectionnel.

En diverses occasions, la volonté a été affirmée, en mots et en actes, de faire de luttes particulières des points de départ de possibles dépassements dans le sens de la liberté pour toutes et tous. Si la récupération politique (notamment par les canaux démocratiques) a tenté, et trop souvent réussi, à neutraliser leur potentiel subversif, nombre de conflits sont restés bien loin des velléités d’ascension sociale et d’intégration positive au système prônées par un certain féminisme libéral puis institutionnel.

Dans l’Argentine du XIXe siècle, les femmes (notamment anarchistes) qui s’organisaient dans les centres urbains industriels en comités de grève, en sociétés de résistance, en comités de propagande pour lutter sur le terrain du travail et du logement étaient généralement très claires quant à leur volonté d’en finir aussi bien avec l’ordre capitaliste qu’avec les coutumes traditionnelles. Portant par l’action directe une lutte économique et sociale, elles se battaient avec le même acharnement contre l’esclavage, y compris sexuel, dans la cellule familiale, à l’usine à l’église ou dans la rue. Criant haut et fort : « Ni dieu, ni patron, ni mari » , elles se sont souvent heurtées à l’incompréhension, voire à la désapprobation, à la fois de leurs proches et d’autres prêt-e-s à reproduire le modèle traditionnel des genres et la répression qui va avec.

Faire partie de la minorité de la minorité (en tant que femme déterminée à reprendre sa vie en main avec des aspirations révolutionnaires, et qui plus est antiautoritaires) n’est certes pas une sinécure et cela conduit souvent à se retrouver prise en étau entre le désir d’agir au sein du mouvement d’émancipation et l’injonction, plus ou moins explicite, de bien vouloir remiser ses propres exigences à des lendemains qui, peut-être, chanteront ...

Les compagnonnes ayant conquis de haute lutte la possibilité de prendre part aux affrontements dans l’Espagne de 1936, ont ainsi elles aussi vite été ramenées à d’autres dures réalités : celles de la discipline militaire. Le processus de militarisation ne leur a en effet pas laissé le choix de participer ou pas aux batailles, mais les a renvoyées à la place considérée comme leur convenant le plus : à l’arrière. Porter les armes n’est certes pas pour nous forcément le plus valorisant, mais quand au nom de l ’efficacité on revalide aussi l’attribution genrée des rôles, y compris dans la prise de décisions, c’est le signe que la contre-révolution est en marche. Le rapport aux dites « déviances », euphémisme par lequel on désigne notamment les sexualités ne rentrant pas dans le cadre hétérosexuel convenu, en dit souvent également long sur la volonté d’attaquer la normalité dans son ensemble. Et le fait de reléguer au second plan des formes de domination relayées comme « périphériques » sous couvert de se consacrer aux « priorités » correspond à une hiérarchisation de fait.


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