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Que vient chercher en France la société australienne Variscan Mines ?

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Bref résumé des pratiques des sociétés juniors dans l’industrie minière.

Article paru le 13 juillet 2015, publié sur alternatives-projetsminiers.org, de William Sacher, universitaire équatorien spécialisé dans la critique de la méga-industrie minière. (Co-auteur d’ouvrages parus aux Éditions Ecosociété).

Au cours des 2 dernières années, la société australienne Variscan Mines (ex Platsearch NL [1]) a obtenu une série de 6 PER (Permis Exclusif de Recherches Minières, ce que dans le jargon anglo-saxon on appelle plutôt « concession ») répartis essentiellement sur le grand ouest de la France. Deux ou trois nouvelles demandes de PER, déposées par la filiale française de Variscan Mines (Variscan Mines SAS), sont en attente d’autorisation.

Variscan mines est une société australienne, enregistrée sur la bourse de Sydney (Australian Stock Exchange, ASX). C’est le cas typique d’une société « junior », c’est à dire une société de taille modeste qui se consacre exclusivement à l’exploration minière [2]. La prédominance de la finance dans l’économie à l’échelle globale (c’est à dire le fait que les meilleurs taux de profits sont dégagés à partir d’activités financières plutôt qu’à partir d’activités productives) et les prix très élevés des métaux, ont propulsé les sociétés juniors au rang de grands acteurs de la « découverte » de nouveaux gisements, en particulier sur les zones que les mineurs appellent les greenfields, c’est à dire les territoires non concernés par une activité minière industrielle (par opposition aux brownfields, où est déjà installée la production minière).

Les sociétés minières juniors qui se basent sur le capital-risque pour financer leurs campagnes d’exploration, sont dans ce contexte un outil extrêmement efficace de renouvellement des ressources et réserves minières : ce sont les investisseurs en bourse (ceux qui achètent les actions) qui assument le grand risque financier que représente ce type d’activité. Les grandes sociétés minières -les majors font, pour leur part, l’économie de la mauvaise publicité que génèrent les conflits sociaux que génèrent les campagnes d’exploration. Dans le présent texte, je brosse très brièvement le portrait de ce type de société, dans un contexte de division du travail de l’activité minière à l’échelle internationale entre les entreprises juniors, et leurs grandes sœurs, les majors.

La dualité Junior / Major dans l’industrie minière

Actuellement, dans le secteur minier international privé, il est important de distinguer entre deux grands types de sociétés :
• les sociétés d’exploitation qu’on appelle les majors
• les sociétés d’exploration, qu’on appelle les juniors.

Les entreprises juniors sont en général de taille très modeste et sont les plus nombreuses l’échelle internationale (près de 90% des sociétés minières existantes).
La plupart d’entre elles n’ont pas plus d’une dizaine d’employés. Enregistrées sur les marchés boursier s hautement permissifs comme la Bourse de Toronto (TSX) ou sa concurrente de Sydney (ASX), elles ne tirent des bénéfices que de la spéculation et financent leurs campagnes d’exploration en levant des fonds (des capitaux à risque) sur ces marchés boursiers [3].

Les majors sont au contraire de grandes entreprises établies. Elles possèdent de nombreuses mines et emploient généralement des milliers de personnes sur divers continents. Elles disposent d’un capital boursier important, exercent une influence politique et économique considérables sur les autorités politiques nationales, et sont capables de mobiliser les fonds et les moyens humains et technologiques pour mettre en œuvre l’exploitation minière (une activité capital intensive). On retrouve dans cette dernière catégorie les grandes sociétés minières comme Rio Tinto, Glencore-Xstrata, Vale-Inco, BHP Billiton, Barrick Gold, Anglo-american, Freeport Mc Moran, Areva, etc. À recenser les grands acteurs de l’activité minière industrielle, on se rend compte que ce sont les sociétés anglo-saxonnes (canadiennes, australiennes, états-uniennes, anglaises, ou encore sud-africaines) qui dominent de très loin le secteur, bien que des sociétés chinoises, indiennes et brésiliennes (comme Shenhua, Coal India, ou encore Vale) se soient récemment hissées parmi les géantes du secteur.

Les sociétés juniors, reines de la spéculation boursière.

Quant effectivement elles le font, les juniors se consacrent exclusivement à l’exploration et à la prospection minière, c’est-à-dire qu’elles se chargent d’aller identifier de nouveaux gisements sur ce qu’on appelle les greenfields. Parfois, le système d’économie-casino des bourses permet même à ce type de sociétés de réduire leur activité sur le terrain à une présence essentiellement symbolique, alors que leurs actionnaires spéculent et génèrent des gains considérables grâce aux seules effets d’annonces dans les médias, et à la volatilité intrinsèque des prix des actions dans le secteur.

La récente envolée du prix de l’action de Variscan a fait suite à l’annonce de l’analyse d’un vieux carottage qu’avait effectué le BRGM dans les années 70 [4]. Cette seule annonce a été le synonyme de nombreux achats de l’action à la bourse de Sydney. Bien entendu un actionnaires majoritaire de la société comme le singapourien Kwan Chee Sen avait pris soin d’augmenter ses participations dans la société quelques jours auparavant ce qui luis a tout de même permit de faire passer ses avoirs de 1 à 3.6 millions de dollars en moins d’un mois. Que verront les bretons et les sarthois de cet argent fait sur le dos de leur sous-sol ? La réponse est dans la question. Historiquement, délits d’initiés et fraudes en tous genres forment le quotidien des places financières que sont la bourse de Toronto et Sydney dans le domaine minier, dont les règles favorisent hautement la spéculation. Nous l’avons démontré avec mon collègue Alain Deneault dans le cas de Toronto [5]. Sydney étant la principale concurrente du TSX, il y a fort à parier que les pratiques soient en de nombreux points similaires.

C’est ainsi que même si à terme les campagnes d’exploration de Variscan ne portent pas leurs fruits, elles auront permis l’enrichissement d’investisseurs étrangers et d’ex-fonctionnaires français peu scrupuleux, grâce aux effets d’annonce et achats frénétiques d’actions que la rationalité économique est bien incapable d’expliquer.

Des sociétés qui fonctionnent grâce au capital-risque

Les entreprises juniors ne disposent pas des moyens humains et techniques, et encore moins des ressources financières et la solvabilité nécessaire pour obtenir des institutions financières publiques ou privées les prêts nécessaires pour développer les projets miniers [6] dont ils font la promotion sur leurs sites internet.

Les chances de succès des juniors sont très minces sur le papier (environ un projet d’exploration sur 100 à 500 débouche effectivement sur une mine industrielle). Si cela ne marche pas, c’est la faillite pour l’entreprise. Mais si ça marche, la junior va pouvoir approcher une major avec un projet minier clefs-en-main, prêt à être développer, en lui disant : « voilà ce qu’on vous offre, vous avez tout ce qu’il faut pour aller exploiter ».

Le plus souvent, l’histoire commence ainsi (j’ai pu observer ces pratiques dans de nombreux pays d’Afrique et d’Amérique Latine) : un géologue local qui a travaillé comme fonctionnaire pour les services gouvernementaux de son pays brade à une junior canadienne ou australiennes des informations géologiques privilégiées, acquises dans le cadre de ses fonctions (on pourrait raisonnablement supposer que c’est qui se passe aujourd’hui avec Jack Testard et Michel Bonnemaison, des anciens du BRGM). À la tête de ces juniors, on trouve souvent des « experts en gestion de capital-risque » — entendre plutôt des rois du boursicotage —, comme c’est le cas des directeurs de Variscan Patrick Elliot et Foo Fat Kah, ainsi que des géologues comme Testard, qui ne connaissent pas forcément les subtilités du jeu boursier mais sont bien au fait des zones géologiquement et politiquement les plus intéressantes. Plus les géologues sont bien renseignés et plus les agioteurs sont habiles, plus les chances d’empocher gros sont grandes.

C’est ainsi que souvent les projets miniers qui au final ont un fort potentiel d’être rentables sont d’emblée ciblés, fléchés. Par la suite, dans l’idéal libéral du marché efficace on devrait avoir des agents indépendants — entreprises juniors d’un côté, majors de l’autre — les secondes achetant ou pas les premières quand le contexte est jugé adéquat. En fait, les choses se passent autrement. Dans la grande majorité des cas où une campagne d’exploration est couronnée de succès, les dés ont été pipés. Très souvent, une (ou plusieurs) major est liée à la junior qu’elle achètera, bien avant que la transaction ne soit officialisée.

Les sociétés majors sous-traitent aux juniors, en quelques sorte, l’activité d’exploration dont elles ne veulent pas se charger. Les activités d’exploration sur les greenfields sont en effet très risquées, d’un point de vue économique, certes, mais aussi d’un point de vue politique et social. Elles se déroulent généralement sur des territoires dont l’extension est très grande. Ces opérations impliquent l’accès à des territoires sur lesquels se trouvent des communautés (autochtones, agriculteurs, mineurs artisanaux, etc.) qui n’accepteront pas a priori l’implantation d’un projet qui promet de transformer profondément l’économie locale et le mode de relation avec — et de production de l’environnement. C’est très peu populaire !

Ce sont donc les juniors qui sont les premières à affronter la résistance de ce type de communautés à l’exploitation minière. Elles se retrouvent ainsi en première ligne, tels des éclaireurs. Elles tâtent le terrain, à la fois d’un point de vue géologique et technique, mais également politique et social. Quant aux entreprises majors, elles fuient comme la peste les échauffourées, conflits, tensions… dont la résonance médiatique pourrait ternir leur réputation. Les sociétés juniors, de part leur petite taille, sont capables de changer de nom ad libitum. Telles des phénix, elles meurent et renaissent incessamment. Si l’une d’entre elles a mauvaise presse, elle fera faillite et reviendra sous un nouveau nom, éventuellement avec le même exécutif.

Jack Testard, gourou de la relance minière en France

Ancien responsable des ressources minérales au BRGM, le géologue Jack Testard a sans doute eu accès à toute l’information géologique clé qui a permit à Variscan de poser les demandes de PER sur des territoires stratégiques. Après avoir été simple représentant de la société australienne Platsearch NL en France, il a été promu membre du Conseil d’Administration de Variscan Mines. C’est aussi grâce à lui, sans doute, et à son compère Michel Bonnemaison, autre ancien du BRGM, que Variscan a eu accès aux résultats de vieux carottages bretons qui ont enflammé le cours de l’action de l’entreprise en mai dernier. Même s’il est difficile d’établir ces liens avec certitude, les citoyen(nne)s français(es) sont en droit de se demander dans quelle mesure ces anciens fonctionnaires ont obtenus des bénéfices personnels grâce au bradage à des intérêts privés (qui plus est étrangers) d’informations d’un organisme d’État, acquises dans le cadre de leurs fonctions.

Mais Jack Testard, c’est aussi le président de la Chambre Syndicale des Industries minières (CSIM). Cet organisme est membre de la FEDEM, la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux, laquelle rassemble des acteurs de l’ensemble de la filière minière et s’est récemment joint à la FFA (Fédération Française de l’Acier) pour créer une nouvelle entité : l’A3M, dont Jack Testard se fait volontiers le porte-parole [7]. L’A3M s’est donné pour but de faire la promotion — selon les mots de Jack lui-même — de l’exploitation minière « high tech » (entendre l’exploitation minière capital-intensive moderne, qui exploite les gisements de faibles teneurs et forts tonnages).

Jack Testard, a également figuré en bonne place auprès de Thierry Tuot, le conseiller d’État charger de la réforme du code minier français. Le vieux date du XIXe siècle et n’est plus tout à fait adapté aux intérêts des capitaux miniers d’aujourd’hui… Au cours de l’élaboration de ce nouveau code minier, Jack aura sans doute su y faire valoir la voix de ses partenaires français de la FEDEM, mais surtout de ses associés australiens, des actionnaires actuels ou futurs de Variscan, et de toutes les juniors canadiennes et australiennes aux abois pour mettre la main sur un petit bout de sous-sol français. Bref Jack Testard, c’est l’homme-à-tout faire de l’industrie minière en France, et actuellement un personnage incontournable de la relance minière française.

Perspectives d’avenir

Il est difficile de prédire l’avenir de Variscan Mines sur le sol français. Pour une société major, le choix d’un site à exploiter est effectué en fonction d’une série de paramètres qui impliquent le potentiel géologique et les caractéristiques physico-chimiques du gisement, bien sûr, mais aussi d’autres considérations comme l’existence d’infrastructures routières et énergétiques, les technologies disponibles, le cadre légal et son évolution, les conditions économiques, politiques et sociales au niveau local, national et international, l’accès aux territoires etc. Si tous ces aspects sont favorables au moins pour un des sites convoités, Variscan pourra sans doute se laisser acheter par une ou plusieurs majors. En particulier, si elle est capable d’apaiser les réticences sociales et d’user (c’est un processus qui se fait en général sur le long terme) les mouvements de résistance, elle pourra présenter à ses éventuelles majors associées potentielles un dossier attractif. Quoi qu’il arrive, étant donnés les minerais recherchés, il est peu probable qu’une major française se charge de l’éventuelle exploitation. Sera-ce une transnationale anglo-saxonne, ou encore chinoise ? Qui sait. Dans tous les cas, cela pose un problème en terme de souveraineté et remet en question les arguments présentés par Variscan et le gouvernement à ce sujet. Le point de départ officiel de la relance de l’activité minière en France est en effet d’assurer un approvisionnement souverain du pays en minerais…

Les juniors, tout comme les majors, sont comme le courant électriques, elles se rendent où elles rencontrent le moins de résistance. C’est la raison pour laquelle ce sont aujourd’hui des zones rurales qui sont convoitées par Variscan et les autres sociétés juniors présentent en France (comme la canadienne La Mancha en Creuse). C’est à dire des territoires sur lesquels ne sont pas présents de gros intérêts économiques qui seraient susceptibles de faire obstacle au bon déroulement d’un projet minier. On n’ira pas, bien sûr, explorer le sous-sol de Paris intramuros ou encore du bordelais... Étant données la conjoncture économique relativement favorable au niveau global et la volonté affichée de l’État de se mettre au service des juniors actuellement (et des éventuelles futures majors) présentes sur le territoire national, Il semble que la capacité qu’auront les différents mouvements de résistance à l’implantation minière sera un élément-clef pour décider du futur de nos territoires qui se réveillent aujourd’hui avec une épée de Damoclès minière au-dessus de la tête. Les gros capitaux miniers, quant à eux, s’en sortiront gagnants quoi qu’il arrive. Si l’entreprise fait faillite, il y a fort à parier que les gros investisseurs seront avisés à temps … tandis que si Variscan trouve acheteur, la société sera vraisemblablement capable de faire valoir ses intérêts jusqu’au bout, en allant même jusqu’à signer des conventions confidentielles qui garantissent ses intérêts au cas où les conditions d’exploitations ou les exigences environnementales de la part de la société civile se feraient plus rudes (c’est ce que est arrivé avec la mine d’or de Salsigne, un cas école français de désastre social et environnemental). Quant au soutien financier de la part de l’État français, il sera au rendez-vous quoi qu’il arrive. Il y a fort à parier que des organismes de financements publics se soient d’ores et déjà montrés intéressés à participer directement au capital de Variscan [8].

Notes

[1La société a changé son nom en janvier 2014.

[2C’est à dire l’identification de gisements potentiellement exploitable de manière rentable.

[3Une campagne d’exploration implique en moyenne la mobilisation de quelques dizaines de millions d’euros.

[4ASX Announcement, High Grade Drill Assays From Port-Aux-Moines, 19 may 2015, il y a fort à parier, en fait, que Variscan communique au compte-goutte les informations dont elle dispose sur les différents sites sur lesquels elle est présente, sûre qu’elle générera à chaque fois une attention sur son titre boursier et un éventuel saut quantique dans le prix de son action.

[5Voir Deneault, Alain et William Sacher, Paradis Sous Terre. Comment le Canada est devenu la plaque tournante de l’industrie minière mondiale, Rue de L’échiquier, 2012.

[6Le développement d’une mine industrielle moderne implique l’investissement de plusieurs milliards d’euros.

[7Marine Jobert, Carnet rose dans le monde des minerais, minéraux et métaux, Le Journal de l’Environnement, 22 janvier 2014. http://www.journaldelenvironnement.net/article/carnet-rose-dans-le-monde-des-minerais-mineraux-et-metaux,42025

[8Comme l’indique justement le rapport Cinal du gouvernement — auquel l’A3M de Jack Testard a participé — intitulé « Prospective. Mutations économiques du secteur de l’industrie des métaux non ferreux », publié en mars 2015.

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