BOURRASQUE-INFO.ORG

Site collaboratif d’informations locales - Brest et alentours

Le sport, aliénation ou émancipation ?

|

Le sport, aliénation ou émancipation ?
Au lendemain de grandes échéances sportives internationales, t’es-tu déjà demandé si les belles valeurs dites « naturelles » du sport sont réelles ou un simple fantasme ? Le sport est-il émancipateur par essence ? À travers cet article et ceux qui le suivront, nous allons réfléchir collectivement à ces questions et essayer d’y apporter une réponse la plus complète possible...

Le sport, aliénation ou émancipation ?

Pour commencer je tiens à préciser pourquoi j’ai décidé de réfléchir et d’écrire sur ce thème. Depuis mes 5 ans, je pratique un sport traditionnel breton : le gouren (la lutte bretonne). Mon investissement s’est fait à plusieurs niveaux : lutteur compétiteur, entraîneur et engagé sur le développement de l’association de différentes manières. Mais ce n’est que depuis quelques années que je me questionne sur le sens que je mets dans ma pratique, le but que je souhaiterais atteindre et les valeurs que je veux défendre.

Pour ce premier article, je vais répondre à la question – A quand remonte le sport ? Pour finalement pouvoir, dans de prochains articles réfléchir aux dominations véhiculées par le sport, mais aussi pouvoir donner des exemples d’émancipation vis-à-vis de ces mêmes dominations.

Afin d’avoir un contenu le plus complet possible et pour éviter les biais cognitifs qui pourrait affecter ma propre réflexion, je propose aux lecteur·ice·s qui souhaitent creuser cette question et/ou aborder d’autres points de vue, exemples de dominations vécues ou non, etc. de réagir par mail (voir fin d’article) et je me ferai un plaisir de publier vos retours dans de prochains articles.

A quand remonte le sport ?

À quel moment le sport a pris la forme que nous connaissons aujourd’hui, dans quel contexte et quels étaient les enjeux de cette transformation ?

Les sociétés occidentales aiment souvent se comparer aux civilisations antiques dans le but de se donner une certaine légitimité historique vis-à-vis de leur population. On peut sans conteste citer comme exemple la création du roman national français sous la IIIᵉ République avec le fameux « nos ancêtres les gaulois civilisés par la grande Rome ». De ce fait, nous placerons notre premier point de comparaison dans l’Antiquité grecque. Maintenant, il nous faut un deuxième point de comparaison : à mon sens le plus pertinent est de le placer en Grande-Bretagne au milieu du XVIIIᵉ au début de la révolution industrielle. C’est aussi un moment de l’histoire ou l’Angleterre était la seule monarchie parlementaire d’Europe.

Voyons les différences entre les jeux antiques et les sports modernes. Par exemple dans l’Antiquité, les cités-états avaient un calendrier lié aux fêtes religieuses ; les règles pouvaient varier d’une cité à l’autre, ou encore ils ignoraient les concepts de classement et de record. Aujourd’hui les fédérations sportives ont leur propre calendrier ; les règles sont universelles et il y a une importance primordiale du classement et du record. On pourrait encore prendre comme exemple l’absence de structures centralisées dans les jeux antiques tandis qu’actuellement nous connaissons une bureaucratisation et une internationalisation certaine dans les sports. Mais un autre exemple me semble plus pertinent pour comprendre les enjeux politiques de ces deux époques.

Un des principaux buts pour les cités-états grecques était de former le citoyen-soldat qui est dans l’obligation de la défendre en cas de besoin. La panoplie de l’hoplite[1] ne peut être financée que par les citoyens les plus riches. De fait, les barbares[2], les esclaves et les femmes ne se retrouvent pas à concourir dans les jeux antiques. Même si avant tout le sport a une valeur culturelle chez les Grecques[3], c’est une formation d’excellence, en particulier pour les aristocrates, qui fournissent l’essentiel des participants aux grands jeux antiques. C’est aussi un moyen de préparer les citoyens à de futures guerres.[4]

Qu’en est-il lors de la première phase de la révolution industrielle en Angleterre ? Les citoyens-soldats grecs sont bien loin, mais une chose est sure, l’aristocratie est toujours présente et elle a été rejoint par la bourgeoisie, grande gagnante de cette période. Ici, même s’il s’agit toujours de former des élites, elles se doivent d’être adaptées aux nouveaux enjeux de cette période qu’ils soient économiques, politiques ou socioculturels.
Économique, car c’est le moment ou l’Angleterre se lance à la conquête du monde par les mers que ce soit en Inde ou en Amérique. De plus, c’est à cette période qu’elle met le royaume de France sur le banc de touche lors de la guerre de sept ans (1756 – 1763). Les enjeux politiques sont liés au fonctionnement de la monarchie parlementaire anglaise, les élites ne peuvent plus être formées comme avant. Il s’agit ici, dans le jeu parlementaire de redoubler d’éloquence afin de parler, négocier et convaincre. Enfin, l’enjeu socioculturel de cette époque est une volonté de se distinguer des générations précédentes, c’est-à-dire que les loisirs d’une élite nouvelle se doivent d’être nouveaux. Quand on analyse ces enjeux on s’aperçoit que les vertus du sport sont mises en avant par des hommes (des aristocrates, des bourgeois et des clercs) pour des hommes, dans une course à la colonisation du monde par les pays occidentaux.[5][6]

C’est dans ce contexte que les sports que nous connaissons aujourd’hui émergent. Par exemple en 1715 première course d’aviron moderne. En 1740, c’est le premier « championnat du monde » de jeu de paume[7] qui voit la victoire du français Clergé qui devient le premier « champion du monde » tous sports confondus. En 1744 création du premier club de golf en Écosse, ou encore en 1750 fondation en Angleterre du Jockey Club (sport hippique).

Afin d’aller un peu plus loin dans la réflexion, je pense qu’il serait intéressant d’aborder un dernier sujet. Je vais utiliser ce que j’ai pu voir ou entendre vis-à-vis du gouren pour l’illustrer. Tout d’abord, au niveau de l’image que les personnes extérieures peuvent en avoir. Pour certaines personnes, mon sport est synonyme de brutal, masculin, tout en force, replié sur lui-même ou limité aux seuls bretonnants, voire encore un sport de plouc. Évidemment la réalité est bien différente et souvent quand les personnes font l’effort « d’aller vers » leur vision change.

Ensuite dans mon sport, j’ai pu remarquer que pour certains il y aurait des catégories perçues comme étant « de seconde zone ». Les catégories féminines jugées dans les compétitions moins intenses en terme d’engagement ou bien les catégories de poids masculines les plus élevées vues comme manquant de vivacité. Mon analyse est qu’étant donné que le gouren demande à la fois force, vitesse, endurance, souplesse et beauté du geste, il est évident que toutes ces composantes ne s’expriment pas de la même manière suivant les contraintes et capacités physiques de chancun·e·s. D’ailleurs j’ai en tête bons nombres d’exemples de compétiteur·ice·s qui vont à l’encontre de ce que j’ai dit plus haut.

Ici ce que je veux mettre en lumière et qui pourra être utile dans de futurs articles, c’est qu’il faut questionner nos représentations, car elles peuvent être sujettes à la catégorisation, aux stéréotypes et aux préjugés ce qui entraîne à mon sens des discriminations et donc des rapports de domination.

Nous avons donc vu à quel point les visions du sport dans l’Antiquité et au XVIIIᵉ siècle diffèrent. Plus important encore, nous avons mis en lumière les enjeux de la transformation dès la première vague de la révolution industrielle. Cela nous donnera des clés de compréhension pour aborder, dans de prochains articles, des réflexions sur l’aliénation et l’émancipation dans le sport. Pour cela nous regarderons par le prisme des dominations, mais nous évoquerons aussi des exemples d’émancipation d’hier et d’aujourd’hui.

J’ai notamment de quoi écrire sur : la place des femmes dans le sport ; les rapports de classes dans le sport ou encore sport et colonialisme. Il y a d’autres questionnements que j’aimerai aborder, mais sur lesquels je manque de matière voir même de compréhension des enjeux (sport et personnes LGBTQI+ ou encore sur le handicap dans le sport par exemple). C’est pour cela que comme je le précisais au début de cet article, cette réflexion se veut participative afin d’avoir un contenu le plus complet possible. Alors n’hésitez pas à m’envoyer un mail sur kazhdu chez riseup.net si vous voulez réagir, compléter ou donner des exemples qui vous semblent pertinents, mais aussi parler de ce que vous avez pu vivre, voir ou faire dans vos pratiques sportives.

Kazh Du

[1]- Fantassin de la Grèce antique.
[2]- Mot utilisé par les anciens grecs pour désigner les peuples n’appartenant pas à leur civilisation, notamment s’ils utilisaient une langue différente.
[3]- Liés aux fêtes des divinités et aux récits des héros.
[4]- https://histoireengagee.ca/sport-culture-et-enjeu-militaire-en-grece-antique/
[5]- https://www.letemps.ch/societe/sport-cette-invention-british
[6]- https://www.cairn.info/journal-ethnologie-francaise-2011-4-page-615.htm
[7]- Ancêtre du tennis.

Pour aller plus loin : la conférence « Le sport : entre aliénation et émancipation » disponible sur YouTube

proposer complement

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Se connecter
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Publiez !

Comment publier sur bourrasque-info.org ?

bourrasque-info.org est ouvert à la publication. La proposition d’article se fait à travers l’interface privée du site. Quelques infos rapides pour comprendre comment y accéder et procéder !
Si vous rencontrez le moindre problème, n’hésitez pas à nous le faire savoir
via le mail contact bourrasque-info chez protonmail.com