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Aujourd’hui, le Venezuela

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Manger, se soigner, résister

Entre juin et septembre 2017, Esteban, ami de longue date, est venu passer quelques mois en France, pour voir ses proches, informer sur la situation alarmiste du Venezuela et récolter des fonds pour un projet libertaire et coopératif. Je dois dire que nous avons tous été sonnés par la dureté du quotidien à laquelle est confronté le peuple vénézuélien et le courage de notre camarade, ses compagnes et compagnons, qui malgré la violence à laquelle ils sont confronté-e-s, luttent en créant des espaces de solidarité et d’autogestion.

Voici le compte rendu de cette situation, racontée par Esteban en deux temps : juin 2017 et il y a quelques jours, en mars 2018.

Manger

Au Venezuela, les conditions de vie sont devenues très difficiles. Le salaire ne suffit pas pour nourrir ta famille et il y a beaucoup de gens qui n’ont pas du tout de salaire. Moi je me débrouille comme je peux. Je travaille à mon compte. Question nourriture, Ça fait des mois par exemple qu’on n’a pas de sucre à la maison. On en a un kilo. C’est pour ma fille et on essaye de le faire durer plusieurs mois. Des pâtes, j’en ai remangé quand je suis arrivé en France, et ma fille aussi. Ça fait des mois que je ne mange que du maïs et j’ai beaucoup maigri. Il y a beaucoup de denrées alimentaires qu’on ne trouve plus au Venezuela. Tout est au marché noir. La farine de maïs, qui est à la base de l’alimentation dans ce pays pour fabriquer les galettes (arepa), ne peut être achetée qu’au marché noir et coûte de 3500 à 5000 (actuellement plus de 100000) bolivars, soit 3 fois plus cher que le vrai prix.

Avant de venir en France j’ai acheté un petit gâteau à ma fille parce qu’il y avait de la farine à la boulangerie. Elle en voulait plus, mais je ne pouvais pas lui offrir parce que c’était 1000 bolivars. Arrivée chez ma mère, il y en avait 3 entiers sur la table ; elle n’en revenait pas !

Pour gagner ma vie, je vends du pain, entre autres. Au début 2017 je le vendais 1500, c’était déjà cher parce que l’année précédente c’était 300. Et en juin, 5000. Mais comme on ne trouve plus de farine, je ne sais pas à combien il va être maintenant. On crève de faim ici. Dernièrement, il y a eu des chiffres alarmants sur la malnutrition des enfants.

Quand la crise a commencé il y a 4 ans, tout le monde galérait déjà pour trouver de la bouffe, on essayait d’acheter des lots pour durer plusieurs semaines. Sinon tu pouvais te trouver à faire la queue pour trouver la bouffe à prix régulé et ça a donné des affrontements. Alors le gouvernement a instauré un tour par numéro de carte d’identité. Un jour de la semaine et un autre de fin de semaine t’étais attitré pour aller acheter. Mais on trouve rien. Ça fait des mois qu’on n’a plus d’huile à la maison. On en trouve qu’au marché noir. Les paysans galèrent aussi, car l’engrais et les graines sont au marché noir.

Maintenant ils ont instauré un « carnet de la patrie » pour acheter des biens courants, mais qui nous fiche totalement. C’est à la fois une carte de crédit et d’identité. Je n’ai pas voulu la faire, mais du coup je ne peux rien acheter. Mais je m’en fous, car la nourriture arrive très peu, je suis en train de semer et je me fous des trucs du gouvernement.

Se soigner

Pour la santé, c’est pareil. Il fallait que je me fasse arracher des dents et il n’y avait pas d’anesthésiant. Déjà, tu hésites à aller à l’hôpital car il y a des coups de feu tirés tous les jours dans la rue et j’ai plusieurs amis avec des balles dans le corps. Et quand tu vas à l’hôpital tu dois tout amener : gants chirurgicaux, aiguilles, anesthésiants, antibiotiques, tout. Et pour des gens comme nous qui gagnent 5000 bolivars par jour (en juin 2017, mais 30000 à 40000 en mars 2018 avec l’inflation), quand il y a du travail, c’est difficile.

Et 5000 bolivars ça ne veut pas dire grand chose, car le cours de l’argent change tout le temps. Par exemple il y a un mois j’ai acheté une chaine de moto à 3500 bolivars. Il y a 3 semaines c’était 20 000, deux semaines, 23000, etc. Un stylo bic qui valait 5 bolivars est à 20 000 maintenant, 4 jours de travail…

Ma belle mère a failli mourir deux fois parce qu’elle avait diminué de moitié son traitement contre l’hypertension. Je collecte donc aussi de la médecine pour aider à peu près 20 paysans de mon secteur qui ont des problèmes de diabète, de tension, des convulsions. Et on va essayer de cadrer pour qu’ils puissent avoir un traitement sur le long terme. Les gens crèvent la dalle. Beaucoup quittent le pays.

Un membre de la famille part et essaye d’envoyer de l’argent pour que les autres survivent. Et ils manifestent. D’autant plus quand tu vois la corruption. Alors ça fait mal quand tu vois des gens en Europe qui soutiennent les chavistes… Le pays le plus riche d’Amérique latine où les gens n’ont pas assez pour se soigner, acheter du sucre et qui cherchent la bouffe dans les poubelles.. !

Corruption et répression

Le gouvernement dit que c’est la faute de l’opposition, soutenue par les américains alors qu’aujourd’hui, on a bien affaire à une insurrection populaire. Les gens n’ont plus de quoi se nourrir et vivent dans des conditions terribles. Certains en meurent, comme deux personnes dans ma famille par manque de médicaments et un ami récemment. Au Venezuela, on passe notre journée à chercher le moyen de trouver de la bouffe ou à faire de l’argent, qui ne vaut pas grand chose, donc on fait du troc.

Pourtant, le Venezuela est le pays le plus riche de l’Amérique latine. C’est le troisième exportateur mondial de pétrole. Il y a des entrées énormes de dollars. Les militaires ont des méga business. Ils sont aussi dans le trafic de drogue.

Le gouvernement bolivarien est impliqué là dedans.

La réponse du gouvernement est de traiter ceux qui protestent de terroristes, et de leur tirer dessus. Les derniers chiffres officiels font état de 72 morts de mai à mi-juin 2017. Mais nous pensons qu’il y en a eu plus de 300. Et il y a la délinquance aussi. En 2016, elle a tué plus de 29000 personnes. Et on suppose que des morts des manifestations ont été comptabilisés dans les chiffres de la délinquance.

Également, auparavant il existait au Venezuela des escadrons de la mort (grupo exterminio), composés de policiers. Aujourd’hui, ils sont réemployés dans la répression des manifestations. Ils n’hésitent pas à tirer, que ce soit sur des manifestants d’opposition, ou des mouvements de protestation contre la faim. Car depuis plusieurs années, il y a régulièrement des manifestations spontanées, des blocages, pour réclamer à manger, de l’eau, de l’électricité et contre la corruption.

En fait, ce gouvernement a bien appris des gouvernements de droite, qui ont saccagé le pays de 1958 à 98. Ils font la même politique que la droite qu’ils critiquent tant. Et aujourd’hui il y a une grande répression contre les anarchistes, les communistes non alignés, les anciens guérilleros. L’État lance des "opérations de libération du peuple" : des militaires et des anciens des groupes exterminateurs arrivent tôt le matin dans des secteurs où se trouvent des soi-disant délinquants, pour procéder à des arrestations. Mais ils ne font que tuer. Car depuis plusieurs années le gouvernement demande à ne plus faire d’arrestations ; les prisons sont surchargées. Des gens sont enfermés au commissariat depuis plus de 4 ans. Il peut y avoir 500 personnes enfermées dans une pièce de 40m2, qui ne peuvent se coucher qu’à tour de rôle. Certains sont incarcérés parce qu’ils ont refusé de se laisser soudoyer. Parfois il y a des mutineries. L’armée intervient et tire. Il est même arrivé qu’elle mette le feu à la prison. Nous par exemple qui sommes une organisation pour les droits humains, sommes dénoncés publiquement comme terroristes, ou bien membres de la CIA.

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