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« Les violences policières ne sont qu’une partie des problèmes suscités par l’existence de la police »

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À l’heure où des manifestations massives animent les États-Unis contre les violences policières racistes, résonne le slogan « abolish the police ». En France, les revendications autour de la police visent en général davantage l’arrêt de certaines pratiques policières (clé d’étranglement, plaquage ventral, contrôles au faciès, etc.) que l’abolition de l’institution policière elle-même. Nous avons sollicité Gwenola Ricordeau, professeure assistante en justice criminelle à la California State University, Chico, auteure de Pour elles toutes. Femmes contre la prison (Lux, 2019) pour nous éclairer sur cette revendication et ses implications concrètes.

Suite aux mobilisations massives contre les violences policières racistes aux US, la ville de Minneapolis a annoncé le « démantèlement » de sa police, et d’autres localités planchent sur la réallocation des budgets des forces de l’ordre vers des projets communautaires. Abolir la police, la démanteler, arrêter de la financer (« defund »), qu’impliquent concrètement ces trois termes ?

Ces trois termes font référence à des choses quelque peu différentes en fait. La revendication du démantèlement des forces de police renvoie au mot d’ordre, déjà ancien, des mouvements pour l’abolition de la police : « Disempower, disarm, disband », c’est-à-dire « affaiblir, désarmer, dissoudre [les forces de l’ordre] ». Il s’agit d’une stratégie, expliquée par exemple par A World Without Police, en trois étapes, qui peuvent se chevaucher.

Affaiblir la police. Cela passe par l’opposition à la construction de nouveaux commissariats ou de nouvelles écoles de police (je pense à la campagne No Cop Academy à Chicago), à leur présence sur les campus universitaires ou aux campagnes de recrutement de policiers, mais aussi par obliger les centrales syndicales à refuser l’affiliation de syndicats de policiers.

Il s’agit aussi, et c’est important, de réduire le recours à la police. Il ne s’agit pas simplement de dire « N’appelez pas la police », mais de proposer de réelles alternatives. Celles-ci ne relèvent pas d’un code de bonne conduite individuelle : il faut construire des communautés fortes qui ont des ressources à offrir dans toutes les situations où ordinairement les gens font appel à la police. Il s’agit, par exemple, de se former collectivement à la gestion des situations de violences interpersonnelles, se former à la justice transformative ou à intervenir auprès de personnes qui ont des problèmes de santé mentale ou qui consomment des produits psychoactifs.

Tu parlais de trois étapes…

Oui, donc la première est l’affaiblissement de la police, et la seconde est son désarmement. C’est un mot d’ordre assez simple à saisir. Mais il faut dire qu’il met l’accent sur une évolution de la police qui ne s’observe pas qu’aux États-Unis : sa « militarisation » – cette expression désigne l’utilisation croissante par la police de stratégies et d’armes qui étaient auparavant réservées aux militaires, un mouvement qui s’est accéléré aux États-Unis après 2001. La question du désarmement met également la focale sur le développement du recours aux armes prétendument « non-létales » (voir l’interview de Paul Rocher).

La troisième étape est assez naturellement celle du démantèlement de la police !

La stratégie « affaiblir, désarmer, dissoudre » rallie beaucoup de groupes, mais il y a plein de formulations différentes. Il y a, par exemple, les « 10 idées d’actions pour un futur sans police » par MPD150 qui mène campagne pour l’abolition de la police de Minneapolis.

Et la revendication de l’arrêt du financement de la police alors ?

C’est une revendication qui gagne beaucoup en popularité actuellement aux États-Unis. Des initiatives fleurissent partout en ce sens. Par exemple, Defund12 permet à tout le monde d’envoyer des emails aux responsables politiques pour demander l’arrêt du financement de la police.

La revendication d’un arrêt du financement de la police est, d’un point de vue stratégique, le pendant de celle de l’arrêt de la construction de nouvelles prisons et du désinvestissement dans le secteur carcéral. Par exemple la campagne Harvard Prison Disinvest que mènent les étudiant.e.s d’Harvard pour que leur université cesse ses liens économiques avec le secteur des prisons privées et des banques qui font des prêts pour les cautions liées aux libérations provisoires. Cet appel à l’arrêt du financement de la police va souvent de pair avec l’idée d’utiliser cet argent pour financer les secteurs qui sont réellement utiles à la population, à commencer par la santé (par exemple, sur les réseaux sociaux états-uniens, circulent beaucoup les photos en vis-à-vis d’un policier lourdement équipé et d’une personnelle soignante qui utilise un sac poubelle à défaut d’autre équipement adéquat pour se protéger du coronavirus). Mais beaucoup d’autres secteurs sont mentionnés, comme le logement, l’éducation, les transports publics, la santé psychique, les services pour les femmes (notamment celles victimes de violences), … Et puis il y a la question de la préservation des sites ancestraux et sacrés des populations amérindiennes, de la pollution dont souffrent particulièrement les quartiers populaires… autant de problèmes très réels pour lesquels les financements sont ridicules en comparaison des budgets alloués aux forces de l’ordre.

Mais est-ce que revendiquer l’arrêt du financement de la police est considéré comme une stratégie abolitionniste ?

L’arrêt du financement de la police n’est qu’un moyen d’aller vers son abolition : il ne se suffit pas à lui seul, car le projet abolitionniste n’est pas de laisser chacun·e s’occuper de sa sécurité. Mais il n’y aura pas d’abolition de la police tant qu’il y aura de l’argent pour la police !

La revendication de l’arrêt du financement des forces de police n’est en fait que l’une des huit revendications d’une campagne nationale #8toabolition qui porte également comme revendications la libération massive de prisonnier.e.s (la décarcéralisation), des logements pour tou.te.s, des investissements dans le secteur de la santé publique…

Cette plateforme répond à celle de la campagne #8cantwait, lancée par Campaign Zero, qui lutte contre les violences policières. Les propositions de #8cantwait – qui ont pour but de réduire le nombre de personnes tuées par la police de 72% – sont, par exemple : interdiction pour les policiers d’user les techniques d’étranglement et de tirer sur les véhicules en mouvement, obligation pour eux d’utiliser des techniques de désescalade et de prévenir avant de tirer…

Les différences entre les deux plateformes montrent qu’il y a de vraies différences tactiques entre les mouvements abolitionnistes et les luttes contre les violences policières. Elles montrent aussi que les luttes contre les violences policières peuvent avoir du mal à dépasser une perspective certes critique, mais réformiste sur le fond, de la police. En effet, ces luttes ont tendance à se limiter justement à la question des violences policières ou au caractère raciste de l’institution et elles laissent dans l’ombre la question de l’existence même de la police

En quoi les revendications abolitionnistes « affaiblir, désarmer, dissoudre » se distinguent-elles des approches réformistes ?

Le chercheur et militant abolitionniste états-unien Alex Vitale a rappelé que « les policiers arrêtés dans la mort de George Floyd avaient reçu des formations sur les biais [raciaux] implicites, sur les techniques de désescalade, de méditation en pleine conscience. Ce type de formation est assez populaire dans les forces de l’ordre aux États-Unis. Ils portaient des go-pro et ils étaient requis d’intervenir en cas d’usage de la force impropre [de leurs collègues]. Tout ceci n’a fait aucune différence ».

En général, on trouve parmi les propositions réformistes – dont l’argumentation est très bien démontée par le groupe abolitionniste états-unien Critical Resistance – une meilleure formation des policiers. Cette proposition est problématique car elle contribue à développer les budgets qui leur sont alloués et la recherche tend à prouver que la formation des policiers n’a pas beaucoup d’effets sur la réalité de leur travail, mais surtout cela peut contribuer à renforcer leur sphère d’activités. L’exemple le plus souvent utilisé aux États-Unis est celui de la formation des policiers à la prise en charge des personnes ayant des troubles psychiques. C’est un enjeu important car ces personnes sont surreprésentées parmi les victimes de crimes policiers et de plus en plus de forces de police forment leurs personnels aux contacts avec ces personnes. Le problème, c’est que de plus en plus, plutôt que de faire appel à des personnels de soins ou à des membres de la communauté qui auraient des ressources à apporter lorsqu’une personne se met en danger ou met en danger autrui, il y a l’appel à la police. C’est évidemment le même type de questions que pose, par exemple, le fait de former davantage les policiers à l’accueil des femmes victimes de violences.

Autre proposition réformiste : systématiser le port par les policiers de go-pro. De nombreux travaux ont montré qu’elles ne réduisent pas le recours à la force par les policiers, ni les crimes policiers, sans compter que leur déploiement contribue à gonfler le secteur déjà florissant de la vidéosurveillance.

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