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Lexique Gramsci

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Concepts-clés pour penser notre monde

Nous avons évoqué Antonio Gramsci dans les articles précédents (ici, ou ), notamment sa fameuse hégémonie. Nous vous proposons ici un court lexique de concepts essentiels (résumés) du penseur marxiste italien, qui peuvent nous être encore utiles pour penser l’histoire, l’économie et la politique actuelles, ainsi que l’idéologie dominante, afin d’agir sur le réel. Car en effet, contrairement à des visions parfois économicistes du marxisme (expliquant mécaniquement la société par des déterminismes économiques), il s’applique à étudier la superstructure (l’idéologie, le droit, l’État etc. - et leurs agents) sans la rendre trop instrumentalement dépendante de l’infrastructure, c’est à dire la base économique où s’établissent les luttes de classes actuelles (capital/travail) autour de rapports de production découlant de la propriété privée (des moyens de production, des terres etc.). Quand l’on sait que l’extrême droite - à travers le GRECE particulièrement - s’est réappropriée (et a malmené) le concept d’hégémonie culturelle comme prélude à la prise du pouvoir d’État, il nous semble d’autant plus urgent de nous inspirer stratégiquement de ce penseur fécond. Ceci, afin d’attiser une volonté collective d’émancipation. Car nous n’oublions pas que la pensée de Gramsci est indissociable d’un bouleversement en profondeur des structures économiques, politiques et culturelles de domination de classe, de la construction du communisme (écosocialisme ou néocommunisme pour notre temps présent).
Nous nous appuyons ici essentiellement sur un livre que nous ne saurions que trop vous conseiller pour vous familiariser avec sa pensée : Antonio Gramsci, Guerre de mouvement et guerre de position. Textes choisis et présentés par Razmig Keucheyan, La Fabrique éditions, 2011, Paris.

Philosophie de la praxis (le terme vient d’Antonio Labriola (p. 98) = marxisme (souple). Elle consiste à « penser la dialectique entre l’action humaine et ses conditions et – ce second couple ne recoupant pas le premier – entre la politique et l’économie. » Gramsci voit les « phénomènes historiques ni comme intégralement déterminés, ni comme complètements contingents ». Lire ici. La lutte des classes n’est pas qu’économique, elle se déroule dans la société civile et est aussi politique et culturelle.

Société civile = parlementarisme et partis politiques, syndicats, associations, instruction publique etc. Dans les sociétés avancées du capitalisme, elle se développe aux côtés de l’État, voire y est partiellement intégrée. Ce qui se passa dans les pays d’Europe de l’Ouest, d’où le concept d’ Occident . L’intégration peut aller avec l’ État libéral sous le «  fordisme  », à ce que Gramsci appelle l’ État intégral - État + « société civile » entremêlés, « une seule et même chose » (p. 162) – constituant des « fortifications » et « tranchées » empêchant les crises économiques de se faire politiques et plus encore d’ hégémonie . À l’inverse elle était moins développée dans la Russie tsariste de 1917 à l’économie très agraire et plus autarcique, et était plus autonome de l’État (p. 180-181). D’où le concept d’ Orient où est plus facilement réalisable la :

Guerre de mouvement (p. 181) = une crise économique peut amener une « brèche » (p.221) la facilitant. Elle consiste à partir à la conquête du pouvoir d’État, le plus souvent par un coup de force comme celui des révolutionnaires russes de 1917. Cela semble possible quand la société civile est peu développée. À contrario, il faut alors user également d’une :

Guerre de position (p. 181) = imposée par la caste dominante. Pour une transformation révolutionnaire de la société, l’ hégémonie en place doit être remplacée par la philosophie de la praxis . Ainsi, la lutte des classes est menée sur le terrain économique mais aussi idéologique. Des assauts de type guerre de mouvement sont toutefois possibles voire nécessaires. Et la guerre de position peut aussi continuer une fois la prise de l’appareil d’État.

Hégémonie = ensemble d’opérations pour gouverner (p. 162) une société complexe (d’ État intégral) , permettant aux classes dominantes de... dominer. Elle est d’ordre «  éthico-politique  » : production intellectuelle par ses intellectuels organiques (avocats, écrivains, journalistes etc.). Mais aussi purement « économique » (p. 201-202) : propriété des moyens de production et exploitation. Également politique : positions dans l’État et la société civile . Pour l’assurer, le « consentement » est requis (fonction de la société civile ), mais lorsqu’elle est en péril c’est la « coercition » par la société politique créant de l’obéissance qui prime, voire, position intermédiaire, la «  corruption-fraude  » (p. 234).

Intellectuels organiques (p. 133 et 146-147) = liés à une organisation (syndicats, entreprises, partis, etc.). Une partie d’entre eux assure la fonction idéologique légitimant la classe dominante, leur hégémonie (économique, politique) en assurant une hégémonie culturelle permettant le « consentement » des masses. Ils constituent aussi le personnel de l’État (gouvernement, gradés etc.) et peuvent occuper des fonctions d’encadrement économique (contremaîtres, managers etc.). Les révolutionnaires ont aussi leurs intellectuels organiques, doivent les avoir pour permettre une contre-hégémonie et à terme prendre le pouvoir d’État pour défendre les intérêts des groupes subalternes .

Intellectuels traditionnels (p. 133-134) = sédimentations de l’ancienne hégémonie . Mais peut avoir une grande influence idéologique à l’exemple du clergé, des intellectuels réactionnaires etc.

Bloc historique = unité de la structure et de la superstructure (p. 183). C’est à dire, dans la production et l’échange : les classes dominantes possédant les grands moyens de production, leurs rapports de production avec le prolétariat. Rapports économico-corporatifs selon Gramsci, inséparables de l’idéologie les légitimant, dans le droit, l’État, la culture par les intellectuels organiques (journalisme). À l’époque de Gramsci et à la nôtre, la domination de la bourgeoisie sur le prolétariat (aujourd’hui essentiellement sur les ouvriers + employés).

Crise organique = ou crise de l’hégémonie. Soit une crise du bloc historique , totale (économique, politique, culturelle, morale…) ou « crise de l’État dans son ensemble » (p. 164). Les classes dominantes ne peuvent plus assurer le consentement et doivent de plus en plus user de la force. Résumé par la phrase : « « ceux d’en bas » ne veulent plus et [...] « ceux d’en haut » ne peuvent plus », Lénine, La maladie infantile du communisme (1920). Elle « n’est pas un vide d’hégémonie, mais le vacillement du système hégémonique actuel du fait de la poussée d’une autre classe vers une hégémonie nouvelle », lit-on ici. Et Gramsci d’écrire : « Une crise se produit, qui parfois se prolonge sur des dizaines d’années : cette durée exceptionnelle signifie que dans la structure se sont révélées (sont venues à maturité) des contradictions irrémédiables et que les forces politiques qui travaillent positivement à la conservation et à la défense de la structure elle-même s’efforcent cependant d’y remédier à l’intérieur de certaines limites et de les surmonter ». Ainsi que : « Le développement du capitalisme a été, si l’on peut s’exprimer ainsi, une “crise continuelle”, un mouvement très rapide d’éléments qui s’équilibraient et se neutralisaient » (références en notes 28 et 30 du même article).

Révolution passive = « par le haut » (p. 166) permettant des avancées sociales pour les classes dominées sans remettre en cause l’ordre propriétaire. Gramsci les reconnaît même quand elles proviennent de la bourgeoisie dans ses propres institutions politiques.

Césarisme = proche de la notion également marxiste de bonapartisme. Apparaît dans des situations « d’équilibre catastrophique des forces » qui risquent de se détruire mutuellement, au sein des classes dominantes (p. 226), mais plus globalement comme issue possible de crises organiques ou conjoncturelles. Un César peut assurer leur unité. Le césarisme peut être régressif ou progressif , soit amener une restauration ou changer la forme de l’État, amener des avancées sociales. Il peut aussi être collectif (p. 227).

Nouveau prince = en référence à Machiavel dont Gramsci pense qu’il a dévoilé des techniques politiques encore utiles aux « groupes dirigeants conservateurs », mais qui le sont aussi pour la philosophie de la praxis , pour les révolutionnaires (p. 206-207). Ce nouveau prince appelé de ses vœux est un « être collectif », c’est le parti « qui se propose de fonder un nouveau type d’État » (p. 207). Il doit « incarner cet « intellectuel collectif » capable d’assurer une fonction hégémonique ». Il est vu comme un « intellectuel collectif » avec ses « capitaines » centralisateurs, son « armée » diffuse d’« hommes communs » et un « élément intermédiaire » assurant leur liaison « moralement » et « intellectuellement », la formation militante (247-248).

« Sens commun » ou « bon sens » = ou « observation directe de la réalité » (p. 81). Gramsci est attentif à ce qui semble aller de soi dans la société, ce qui est largement répandu idéologiquement dans les « couches les plus cultivées de la société » mais aussi dans la culture populaire (roman historique, policier etc.). Le sens commun doit alors servir de base pour être dépassé, transgressé « pour construire un bloc intellectuel-moral qui rende politiquement possible un progrès intellectuel de masse et non seulement de rares groupes intellectuels. » (p. 112)

Classes subalternes = « classe ouvrière », mais plus largement des groupes de « « race », cultures ou religions étrangères », soit un ensemble de classes dominées (p. 167). Autant dire que le concept est d’actualité… Fragmentés, rarement autonomes (p. 265-266). Ces « sujets collectifs », s’ils peuvent « faire » l’histoire, sont toujours en construction. Ils ne sont pas déterminés mécaniquement par les rapports de production même si la classe reste essentielle comme « acteur [...] collectif [...] » du processus historique.

Pour conclure : « L’établissement de l’hégémonie est donc capital en Occident, et c’est donc sur un terrain idéologique, celui de « la société civile » que se déroule l’affrontement central entre la bourgeoisie et le prolétariat des pays industrialisés. »

Pour aller plus loin

Dans le même genre :

Des concepts gramsciens pour penser un monde nouveau – L’HUMANITÉ

Article plus complet encore, insistant particulièrement sur la fonction du parti :

La pensée politique de Gramsci - NOUVEAUX CAHIERS DU SOCIALISME

Ou encore :

Gramsci : un marxisme singulier, une nouvelle conception du monde – CONTRETEMPS

Ici un extrait du livre sur lequel nous nous sommes appuyés pour cet article :

Gramsci, notre contemporain - CONTRETEMPS

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