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Été 1955 : une émeute ouvrière à Saint-Nazaire

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Louis Oury est un des écrivains prolétariens majeurs de ces cinquante dernières années. Les Prolos est son premier ouvrage, publié pour la première fois en 1973 et réédité aujourd’hui aux Editions Agone. Jeune chaudronnier embauché aux chantiers navals de Saint-Nazaire, son témoignage décrit de l’intérieur l’univers ouvrier de la grande industrie. Le monde des Prolos est celui de la guerre froide, celui d’affrontements sociaux qu’on peine aujourd’hui à se représenter. Dans l’extrait suivant, il relate la violence des affrontements avec les CRS lors de la grande grève de 1955.

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Quiconque peut arriver les mains nues sur ce champ de bataille ; il suffit de se baisser pour en ramasser une. Pourtant aucune arme ne m’a été nécessaire pour jeter à terre mon premier CRS, je l’ai pris dans le collimateur alors qu’il faisait face à deux grévistes et qu’il jouait de sa matraque à la manière d’un explorateur se frayant un passage dans la jungle à l’aide de son coupe-coupe. En quelques pas j’ai pris une vitesse suffisante pour lui tomber dessus, lâchement, sur le côté gauche. Mon épaule l’a cueilli à hauteur des hanches alors que mes deux bras lui enserraient les genoux ; je l’ai senti décoller du sol puis j’ai tout lâché, il s’est abattu de tout son poids sur un tas de ferraille contre lequel son casque a tinté joyeusement à mes oreilles. Mais emporté par mon élan, et déséquilibré, je me retrouve dans la situation du gars qui a perdu le contrôle de sa voiture, je réalise que je fonce droit sur un autre flic sans pouvoir l’éviter, et celui-ci m’attend de pied ferme certain que je ne vais pas échapper à sa matraque. Dans un réflexe qui m’étonne encore, car il faut avoir vingt ans pour faire ça, une impulsion rageuse me lance au-devant du choc et je précède son coup de matraque d’un centième de seconde. Mon front se plante dans son abdomen et je le sens vaciller. Je fais un bond de côté et parviens à regagner les rangs amis en bousculant quelques ouvriers. Essoufflé, je m’accorde quelques instants pour récupérer, alors je suis témoin d’un spectacle étonnant.

L’atelier est devenu un étrange capharnaüm. D’abord le bruit, inhabituel en un tel lieu, est celui d’un marché couvert multiplié par dix où tous les participants hurleraient des obscénités et s’insulteraient. Et là-dessus, de temps à autre, l’éclatement d’une grenade et la cascade irritante d’un tas de ferraille qui s’écroule. Dans cette cacophonie, ouvriers et policiers oublient qu’au même instant leurs épouses et leurs enfants attendent dans l’anxiété leur retour à la maison… comme ils oublient qu’au même instant des gens malins analysent les conséquences d’un tel conflit sur la tenue de la Bourse. Animés d’une fureur égale, ouvriers et policiers s’affrontent avec des moyens différents. Et tous les moyens sont bons. Malheur à l’isolé. A cinq ou six nous poursuivons un CRS trop avancé, les barres de fer s’abattent sur son échine. La minute suivante je fuis seul devant quelques CRS et leur échappe de justesse grâce à ma connaissance de l’atelier.

Happés comme par enchantement des dizaines de gars disparaissent dans les rangs des forces de l’ordre, mais de toute façon celles-ci ont perdu l’initiative à partir du moment où elles se sont engagées dans l’atelier. Entraînés pour le combat de rue, les CRS ne peuvent rien contre des hommes qui connaissent l’issue de ce labyrinthe de pièces en construction. A une quinzaine de mètres du sol, des ouvriers occupent les chemins de roulement des ponts et ajustent avec précision tout CRS qui s’aventure à la verticale. D’autres occupent les cabines des pontonnières et manœuvrent les ponts roulants de telle sorte que leurs crocs de levage se déplacent à hauteur d’homme, ce qui occasionne quelques ravages dans les rangs policiers. D’autres encore allument les torches à propane qui servent habituellement au chauffage des pièces en cours de soudage, des gars chargent avec ces lance-flammes qui crachent le feu à plusieurs mètres et causent une panique indescriptible parmi la flicaille.

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