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Critique de la critique du virilisme

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Extrait de Suck My Glock #1, deuxième numéro du magazine « féminin viriliste », publié en août 2013. Analyse de la critique du virilisme telle qu’elle existe aujourd’hui dans les milieux militants, et sur ce qu’elle représente selon l’autrice : une remise en cause bien trop partielle du patriarcat.

À lire dans le Suck My Glock #1

Commençons, si vous le voulez bien, par un petit exercice de représentation mentale.

Imaginez deux hommes. Pour les besoins de l’expérience, disons qu’ils sont tous les deux cis, hétéros, blancs, ont à peu près le même âge (un truc comme la trentaine), et sont tous les deux investis dans le militantisme anarchiste / extrême-gauche / etc.

Le premier est, mettons, un skinhead antifa. Ça va, vous le visualisez ? Crâne rasé, docs, bref, look skin. Voilà pour l’image fixe, maintenant essayons de mettre un peu de mouvement : imaginez qu’il a tendance à parler un peu fort, n’a pas peur d’aller à la baston face aux nazis, fait des chorégraphies de supporter en manif. Vous visualisez ?

Passons au second. Le second est moins imposant physiquement, pas forcément parce qu’il est plus petit ou moins large d’épaules, mais parce qu’il parle calmement, n’aime pas trop la violence physique, s’habille « normalement ». Il préfère les réunions à la baston, et est spécialiste des interventions longues et structurées, de l’écriture de textes théoriques.

C’est bon, vous visualisez bien ces deux gars dans votre tête ? Bien, maintenant, à votre avis, qui va être le plus susceptible de se faire traiter de viriliste ?

Le problème, si on regarde d’un peu plus près, c’est qu’en terme de rapports de pouvoir, d’utilisation de privilèges de dominants, il n’est pas certain que le skinhead antifa de notre exemple soit forcément pire que notre militant plus éduqué, qui parle certes d’une voix douce mais a quand même tendance à monopoliser la parole en réunion.

Le problème de la critique du « virilisme », telle qu’elle est formulée dans beaucoup de milieux militants, c’est qu’elle ne dénonce que ce qui est le plus visible et s’attaque finalement assez peu aux rapports de domination masculine en général.

Prenons un second exemple pour illustrer le propos : un type qui balance des « enculé ! » à tout bout de champ risque fort, à un moment ou à un autre, de se faire rabrouer par des féministes (ou simplement par des camarades qui ont intégré la liste de mots à éviter) qui seront probablement d’accord entre elles sur le fait que ce n’est pas bien. À l’inverse, un type qui « parle bien » et, par conséquent, beaucoup, qui possède un réseau social tel que toutes les informations ou presque passent par lui, un type comme ça se verra plus rarement critiquer ; et lorsqu’il le sera enfin, on peut supposer sans trop se mouiller qu’il y aura beaucoup plus de gens pour prendre sa défense.

Allô ? Tu critiques les machos que s’ils ne sont pas polis ? Non mais allô ?

Grosso modo, la critique de « virilisme » va épargner les mecs dominants qui sont suffisamment éduqués, polis, calmes  ; y compris lorsqu’il s’agit de mecs qui ont une position importante qui n’est pas sans lien avec, mettons, le fait qu’ils soient des mecs, aient pu faire des études, soient blancs, etc.

C’est vrai lorsqu’il s’agit de (ne pas) reprocher des choses à des mecs, mais c’est aussi le cas au sein de mouvements féministes, c’est-à-dire entre meufs : par exemple, une nana qui n’a pas peur de se bastonner avec des machos va plus facilement se voir reprocher d’utiliser les outils des dominants (la violence), ou de se réapproprier un peu trop des trucs masculins, qu’une meuf qui écrit plein d’articles théoriques dans des revues académiques (alors que c’est aussi quelque chose qui, comme la violence physique, est au départ plutôt le domaine réservé des hommes). Au final, est-ce vraiment une lutte contre le « virilisme », ou alors une façon de désarmer des meufs qui avaient pu réussir à trouver des outils pour se défendre ?

Peut-être que s’il y a un angle mort aussi important, c’est lié à la façon qu’on a souvent de considérer la « violence » : en gros, lorsqu’on emploie ce mot, on pense surtout à de la violence physique, ou éventuellement au fait d’élever la voix. En revanche, ne pas prendre en compte la parole d’une meuf ne va pas être considéré comme « violent », pas plus que de s’adresser en priorité à un mec pour avoir une information, ou que le fait d’oublier systématiquement les luttes considérées comme secondaires. C’est au contraire lorsqu’une meuf en a marre de se faire systématiquement ignorer et qu’elle décide de parler plus fort pour se faire entendre qu’on va voir surgir l’accusation de « violence », pour désigner son comportement.

C’est une façon dépolitisée, sans analyse des rapports de classe et d’oppression, de concevoir le rapport à la violence, qui ne prend pas en compte s’il s’agit de résister à une oppression ou au contraire d’asseoir ses privilèges. Limiter les accusations de virilisme sur les comportements les plus « voyants » (qui plus est sans regarder s’ils participent effectivement à la domination masculine : lorsqu’un skin antifa porté sur la baston tape sur un bonehead nazi, il ne participe pas à la domination masculine par cet acte même ; il le fait éventuellement s’il considère qu’il n’y a que les mecs qui sont capables d’aller affronter physiquement les fachos), cela revient, de fait, à ne pas lutter contre la domination masculine en tant que telle, mais à demander à ce qu’elle soit plus douce, éduquée, polie, et avec le sourire. Bref, un patriarcat à visage humain.

Cassidy

À lire dans le Suck My Glock #1

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