Dans cette brochure il est question de viol. Pas d’un viol dans une ruelle sombre, tard le soir, par un inconnu violent et déséquilibré. Non, il y est question d’un viol commis par un « camarade » sur un lieu de lutte.
Au départ, je souhaitais surtout écrire un témoignage, parce que lire d’autres écrits fait partie de ce qui m’a aidé à avancer. Lire que je n’étais pas seule à l’avoir vécu mais surtout ressenti, lire les mots d’autres pour pouvoir trouver les miens.
Témoigner aussi d’une situation qui n’est malheureusement pas unique. Parce que trop d’histoires ressemblent à la mienne mais qu’elles finissent souvent par s’évanouir dans les mémoires et ne restent que des histoires « individuelles ». Alors il était important pour moi de dire, en espérant que cela puisse aider d’autres personnes à ne pas se sentir seules, trouvent la force de réagir (au sens large, ça commence déjà par ne pas rester dans la culpabilisation et essayer d’en parler). J’ai aussi trouvé important d’ajouter quelques références théoriques pour aider à mieux comprendre certains mécanismes et ainsi peut-être donner des pistes aux survivant.e.s pour avancer et à leurs proches pour les soutenir.
Et puis, au fur et à mesure que je décrivais ma relation avec cet homme qui m’a violée, que j’y réfléchissais et en parlais, plein de liens ce sont faits avec mon éducation, la société dans laquelle j’ai grandi, l’intégration de certaines normes en bref avec ce qu’on appelle, je l’ai découvert, la « culture du viol ». Ce ne sont pas « que » des situations individuelles, elles s’inscrivent dans un contexte social sexiste que je tenais donc à repréciser.
En tout cas, j’espère que par ce témoignage et ces réflexions j’ai réussi à transmettre un peu de cette force, cette conviction que ce n’est pas encore perdu, nous sommes nombreus.es, on ne pourra pas nous faire taire, nous ne sommes pas les coupables et nous méritons tou.te.s d’être respecté.e.s et considéré.e.s.
Pour une fois j’ai dit NON
Qu’est-ce qu’un viol ?
Le viol est défini comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit [y compris avec un objet ou un doigt], commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ». Depuis une loi de 1980 c’est un crime et non plus un simple délit. S’il n’y a pas de pénétration, l’atteinte commise est une agression sexuelle. Il peut s’agir d’attouchements, de baisers forcés, de “pelotage”.
La contrainte suppose l’existence de pressions physiques ou morales (exemple typique : « mais j’ai fait toute la route pour te voir »).
Ce qui définit un viol, c’est l’absence de consentement clair et explicite de la victime.
Pas besoin de « forcer », pas besoin de coups ni de cris. Avoir un rapport sexuel avec une personne qui n’est pas consentante, c’est un viol.
On peut être violée par quelqu’un même si on est en couple avec cette personne, même si on a une relation intime avec cette personne, même si on avait effectivement envie d’avoir une relation sexuelle avec cette personne une heure plus tôt.
Le consentement peut être retiré à tout moment. Ramener un mec chez soi, coucher avec lui un soir, deux soirs, dix soirs, l’épouser, tout ceci peut constituer des signaux favorables, mais ne vaut pas systématiquement ni automatiquement consentement.
Avoir une relation sexuelle avec une personne qui a trop bu, qui est droguée ou inconsciente, et donc dans l’incapacité de donner son consentement, de s’opposer ou de réaliser ce qui se passe, c’est un viol.
Céder n’est pas consentir. Si la personne insiste jusqu’à ce qu’on se laisse faire, c’est un viol.
Quelques chiffres :
Au cours de leur vie, une femme sur sept (14,5 %) et un homme sur vingt-cinq (3,9 %) déclarent avoir vécu au moins une forme d’agression sexuelle (hors harcèlement et exhibitionnisme). Les femmes sont 6 fois plus souvent victimes de viol ou de tentative de viol que les hommes. Les violences sexuelles que subissent les femmes sont non seulement beaucoup plus fréquentes, mais elles se produisent dans tous les espaces de vie et tout au long de la vie.
Pour quasiment toutes les violences sexuelles subies par les femmes, les auteurs sont des hommes (entre 94 et 98 % des cas). [1]
Dans 90% des cas, les victimes connaissent leur agresseur. Dans 37% des cas l’auteur est le conjoint, dans 17% des cas c’est quelqu’un d’autre qui vit à la maison. Dans 36% des cas c’est une personne connue de la victime, mais qui n’habite pas avec elle. [2]
Pour une fois j’ai dit NON
J’ai décidé d’écrire ce texte parce que, alors que j’étais aux prises avec ma colère, ma honte, l’incompréhension de ce qui m’était arrivé, lire d’autres témoignages fait partie de ce qui m’a aidé à avancer. Lire que je n’étais pas seule à l’avoir vécu mais surtout ressenti, lire les mots d’autres pour pouvoir trouver les miens.
Il m’a fallu du temps pour me poser sur ce texte, et, alors qu’aujourd’hui je vais mieux, je tourne autour du pot pour ne pas pleurer…
J’ai honte de ce qui s’est passé, peur de le raconter, mais au fond, je sais que c’est aux violeurs d’avoir honte, que ma peur vient d’un conditionnement social qui apprend que le viol est “justifiable” voire “excusable”. Alors il est plus important pour moi de dire, pour que d’autres ne se retrouvent pas seules, aient la force de ré-agir.
●
Début 2016, j’ai rencontré X au cours de réunions militantes. Il semblait dynamique, investi et son assurance me rassurait je crois. A cette époque je souhaitais a nouveau avoir une relation avec un homme. Il semblait s’intéresser à moi et je me suis dit “pourquoi pas ?”.
Nous nous sommes retrouvé.e.s dans un bus de soutien peu de temps après et il s’est assis à côté de moi.
C’est là que tout a commencé. Pendant la nuit j’ai fini par poser ma tête sur son épaule et nous nous sommes touché.e.s, caressé.e.s. J’avais juste envie de câlins et plutôt peur de la suite mais je me disais “allez lance toi si tu ne veux pas finir vieille fille, dépasse tes peurs pour ne plus être seule”.
Il a déplacé ma main là où il voulait qu’elle soit (pas moi). J’ai été surprise. Je n’ai rien dit.
Une fois sur place chacun.e a fait sa vie, pas de discussion, pas d’échange. Ça m’allait je crois.
Je le retrouvais le soir au dortoir. On dormait côte à côte. Enfin, moi je voulais dormir mais les câlins allaient toujours plus loin. J’étais très gênée par le fait d’être dans un sleeping collectif, je crois que je l’ai un peu dit mais je n’osais pas refuser catégoriquement, j’avais peur de passer pour une “meuf coincée” et qu’il se désintéresse de moi.
Un soir lors d’un concert il m’a plusieurs fois embrassée longtemps, en pleine lumière, devant des gens qui regardaient le spectacle par delà nous. Quelqu’un a même dit “illes vont finir par le faire là” J’ai dit que je n’aimais pas me montrer comme ça en public, que c’était intime, que j’étais gênée. Il s’est “gentiment” moqué de moi. Et a recommencé plus tard. Je n’ai pas insisté.
Dans ma tête je me répétais : “tu devrais être contente”, “tu n’es pas normale”, “lâche toi”.
●
De retour après cette semaine, on s’est revu.e.s. Je ne savais pas trop ce que j’attendais de cette relation, on discutait peu, on se voyait ponctuellement surtout sur des événements (manifs, réunions…) mais je me disais “cool un mec qui s’intéresse à moi” et j’essayais de ne pas trop me prendre la tête, ne pas être reloue.
A chaque fois qu’on se retrouvait chez lui ou chez moi il était tout de suite très excité, se mettait dans un état où j’avais l’impression de ne rien pouvoir faire, que dire quoi que ce soit serait terrible, j’avais la pression.
La première fois qu’on s’est retrouvé.e.s chez moi, c’était pour aller à une conférence. Il est passé me chercher, a voulu monter avant de partir alors que nous étions en retard, m’a serré dans ses bras et très vite s’est excité tout seul. J’ai argué du fait que nous allions être en retard. Il s’est moqué. J’ai cédé. Je ne sais pas ce qui s’est passé dans ma tête à ce moment, j’ai encore honte de le raconter, j’aurais du l’envoyer chier, mais au lieu de ça j’ai essayé d’avoir envie de coucher avec lui aussi. Au fil du travail d’analyse que j’ai fait depuis, je me suis rendue compte que j’ai souvent fait ça dans mes relations : essayer de me convaincre que j’avais envie de faire l’amour pour faire plaisir à l’autre, pour être “normale”, qu’on ne se moque pas de moi. [3] J’ai eu mal, mais ça aussi, j’avais l’habitude. On n’a même pas mis de capote. Inconscience totale. J’étais résignée.
Une autre fois, alors que nous dormions chez moi, il m’a harcelée toute la nuit (sur le moment je n’ai pas mis ce mot de harcèlement sur ce qu’il avait fait…). C’est à dire qu’il n’arrêtait pas de me toucher le dos, le ventre, les seins, des endroits sensibles. A chaque fois ça me réveillait, je repoussais sa main tant bien que mal et il recommençait une fois rendormie. Le matin j’ai voulu faire comme si de rien n’était. Sauf qu’il bandait encore et qu’il m’a dit “c’est douloureux quand on reste trop longtemps en érection”. J’ai culpabilisé, je l’ai laissé faire, il m’a pénétrée.
Lors des rapports, il ne me demandait jamais avant de s’adonner à telle ou telle pratique, parfois ça ressemblait à un film porno, méticuleusement comme “par obligation” avant de passer à la suite. Avec le recul, je crois qu’une poupée ça aurait été pareil. J’étais parfois sous le coup de la surprise, je avais peu de plaisir, parfois je me déconnectais complètement car j’avais mal, je ne disais rien, je me forçais, “apprend pauv’ fille ! Peut être que tu finiras par y trouver du plaisir”.
Dans un carnet où je note souvent ce qui me passe par la tête j’ai écrit à cette époque : “X a un côté autoritaire désagréable. Je ne peux pas m’exprimer pendant les rapports, je ne suis qu’un réceptacle. J’ai l’impression d’être morte dans ces moments”. La colère est montée contre moi quand j’ai relu ça. Pourquoi j’ai continué à le voir !?
complements article
proposer complement