Notre camarade a été victime de violence sexiste dans le contexte militant. Elle s’ajoute à une longue liste. Nous partageons ici son récit et les analyses qu’elle en tire sur la place que prennent ces violences sexistes dans nos espaces de luttes et les dynamiques d’exclusion des femmes victimes au profit des agresseurs.
Nous partageons ce texte comme un appel à chaque organisation à se poser des questions et à véritablement agir pour lutter contre les oppressions sexistes. Car oui, le privé est politique et plus que jamais dans nos milieux de lutte.
Ce texte fait tristement écho à ce qui nous avions écrit en 2015, La honte doit changer de camp : prenons la parole contre les violences sexistes en milieu militant ! et nous rappelle à nous, militantes, que les multiples combats que nous menons sont loin d’être terminés.
Le 18 avril 2017, S. militant de Damarrie-lès-Lys m’a agressée verbalement et physiquement. Après une réunion publique au CICP, une altercation verbale a basculé rapidement en agression physique. Sur 100m, entre le métro et le CICP, il m’a projeté contre une porte de bâtiment, me tenant fermement les bras, m’insultant et me poursuivant dès que j’ai pu m’échapper. Sous une flopée d’insultes sexistes, j’ai finalement regagné le CICP où j’ai pu me remettre du choc et les militants encore présents nous ont séparés en l’écartant du bâtiment. On m’a ensuite raccompagnée chez moi.
J’ai eu quelques bleus au niveau des bras et un trauma psychologique pendant plusieurs semaines. Il n’a pas nié ce qu’il a fait et s’est excusé de son comportement. Sauf que cela ne suffit pas à passer outre.
Nous militions ensemble au sein de collectifs, qui ont automatiquement condamné l’acte et ont décidé de le mettre à l’écart. Malheureusement, à l’occasion d’un évènement public on lui a demandé de prendre la parole, ainsi son retour a été décidé sans que je ne puisse participer à la discussion. Par conséquent j’ai pris la difficile décision de quitter ces collectifs, pour ma sérénité et ma sécurité mentale. Cela m’a arraché le coeur. J’estimais qu’offrir à S. un micro et une tribune signifiait que mon agression et mon traumatisme n’avaient pas été reconnus. C’est une violence que je ne pouvais accepter et j’ai dû également me remettre de ça. Quelques jours plus tard, une discussion a été entamée avec les personnes concernées, les choses ont été clarifiées et je n’en garde pas d’ inimitié particulière. Je pensais en rester là et que le fait de m’être retirer de ces espaces était suffisamment préjudiciable, tant pour moi que pour ces collectifs, pour que cela même ne se reproduise plus ailleurs.
Si j’écris ce texte c’est parce que j’ai le privilège d’avoir le soutien nécessaire pour le faire. Je suis suffisamment et solidement entourée pour tenter de briser ce tabou. Certaines filles et femmes ne parlent des violences qu’elles ont subi que plusieurs années après les faits, voire gardent le silence à vie. S’en remettre est très difficile, parfois impossible, et c’est le lot de toutes les femmes victimes de violences de tous les milieux, qu’ils soient politiques, professionnels et/ou familiaux. Cela doit être respecté.
Qu’on soit clair, le privé est politique. Les violences sexistes sont un problème politique et de société et doivent être réglées politiquement, a fortiori dans les organisations militant contre les violences structurelles et systémiques. Le but de ce texte est bien de poser le problème dans nos milieux.Depuis le jour de l’agression, je n’ai jamais exigé qu’on lui tourne le dos. Je ne voulais pas avoir à prendre cette décision à la place de nos amis communs et je savais aussi que ça serait impossible de le demander. En revanche j’ai toujours explicitement refusé d’accepter qu’on puisse donner à S. une place publique et politique, surtout en ma présence. C’est, à mon sens, un bon moyen de le réhabiliter et de cacher ses violences. Cela me semblait être une position de principe simple et partagée.
On ne condamne pas un homme violent en lui demandant de reprendre de la place. Et on ne condamne pas ses actes si la victime doit apprendre à prendre sur elle, soit en s’écartant des milieux militants, soit en supportant la présence et la réhabilitation de son agresseur.
Or, depuis quelques derniers mois, à ma grande déception, des militants avec qui j’entretenais de bons rapports et au courant des violences subies, puisque même présents le soir de mon agression, ont à plusieurs reprises pris la décision de lui donner une tribune lors d’évènements publics, sans me demander mon avis, ni même m’en avertir. Je l’ai vécu comme une véritable trahison. Surtout que ce tort avait déjà été causé et que cela m’avait déjà couté.
Si je décide ici de ne pas nommer ces gens ce n’est non pas par bonté d’âme ou bienveillance mais pour que l’on ne puisse me reprocher des règlements de compte. Citer quelques noms éviterait à tout à chacun de se remettre en question. La culpabilisation de peu ne m’intéresse pas. La responsabilisation de tous est mon but ici. Surtout que je sais que beaucoup de mes soeurs de lutte pourront hélas se retrouver dans ce texte.
Le manque certain de positionnement illustre la négligence avec laquelle on tend à gérer ces affaires de violences sexistes collectivement, en ignorant de traiter en priorité l’intérêt de la personne agressée et ce en toutes circonstances. Cela signifie alors refuser de prendre sérieusement en compte ces actes violents.
J’ai pour ma part dû me retirer de beaucoup de milieux pour éviter de le croiser ou de côtoyer les personnes qui le soutenaient en connaissance de cause. J’ai pris sur moi et pris soin de moi. J’avais aussi obtenu l’engagement que les rares invitations que mon agresseur continuait de recevoir cesseraient. Je pensais sincèrement que cette histoire pouvait être réglée entre militants, avec raison et compromis. Mais le problème se pose trop souvent, et la réaction collective est systématiquement décevante.
C’est hélas le sort réservé aux militantes qui subissent des violences dans notre réseau. Elles sont contraintes par le silence des compagnons de lutte à prendre de la distance, se retirer, souffrir en silence. Soumises au chantage de la lutte contre la division des forces, nous sommes facilement sacrifiées pour la bonne tenue de la lutte. Le féminisme de nos camarades n’est finalement qu’une posture théorique. Il est facile de parler de lutte pour la justice pour tous tant que ces positions de principe n’engagent à rien. La vraie épreuve de la lutte consiste à s’élever contre les violences, même contre ses propres intérêts. Les vrais compagnons sont dès lors peu nombreux.
Dans cet épisode, S. n’a jamais nié l’agression et a tenté de prendre de la distance. Il ne s’agit pas ici de plomber qui que ce soit mais de montrer en quoi le traitement de mon agression illustre la facilité avec laquelle on exige le pardon et l’oubli de la victime, ou du moins son silence, pour le bien de l’agresseur. La condamnation est réelle dès lors qu’elle n’est pas contraignante. En effet, on assure condamner un fait de violence tant que cela n’implique aucun changement. En vérité, cela revient à ne rien condamner, et encore moins à prendre fait et cause pour la victime. C’est en fait nous abandonner et tolérer l’agression. Cette impunité est pire que l’agression elle-même.
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M. pour Femme en Lutte 93
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