Le mouvement étudiant du printemps dernier s’est vu entraîné dans un bourbier sans nom. Au parlementarisme d’AG des sociaux-démocrates et des trotskistes, une grande partie de celles et ceux qui se disaient autonomes n’ont su répondre qu’avec des occupations de centres universitaires comme objectif et comme fin du mouvement social. Toute la perspective d’une autoorganisation des luttes étudiantes s’est dissoute dans une totale décomposition, c’est-à-dire dans des formes d’organisation affinitaires et groupusculaires.
Plutôt que d’opposer à la vanité de ceux qui se voulaient être les représentants des luttes au sein de l’Université une ligne de classe et autonome, plutôt que de poser clairement la perspective radicale d’une critique de la fac comme lieu de la reproduction sociale de classe, nous nous sommes contentés de suivre bon gré mal gré leurs échéances militantes sans être capables d’établir un réel cadre auto-organisationnel. Pire, alors que la fac est le lieu par excellence de la production de discours bourgeois sur tout et tout le monde, nous n’avons élevé aucune critique de fond réellement performative, c’est-à-dire capable de peser matériellement sur le cours des luttes. Les nouveaux militants ayant vécu leur première mobilisation se sont trouvés face à un traquenard : suivre les appels mortifères des organisations traditionnelles à la « convergence des luttes » entre étudiants et travailleurs (comme si la majorité des étudiants ne travaillait pas, comme si la majorité des travailleurs ne recevait aucune formation, professionnalisante ou non) ou bien se faire submerger par la shlaguerie, l’absurdité quotidienne et l’oisiveté que l’on vivait dans les facs occupées.
Nous avons partagé le mythe de la « fac ouverte », et notre décomposition est née de notre incapacité à comprendre de quoi nous étions faits, à quoi nous allons servir, de qui nous allons être les serviteurs. Nous ne sommes pas que des étudiants, et le croire serait refuser de voir les choses en face, en plus d’être une immense erreur stratégique. Nous nous efforçons de le répéter : l’étudiant n’est pas une figure homogène, il n’existe pas en tant que classe, et les luttes étudiantes sont traversées par des classes sociales différentes et en contradiction. L’État bourgeois exploite la fable de « la Jeunesse » qui devrait se révolter, dans le but de masquer ces contradictions et de marcher sur notre incapacité actuelle à nous coordonner.
Malgré toutes les apories du mouvement, il y a eu des brèches. Des actions ont été menées en totale indépendance du mouvement social, avec des pratiques qui dépassaient la prétendue « convergence des luttes » et en dehors de la groupuscularité d’un certain nombre d’autonomes. Des cas concrets d’organisation et d’actions communes ont eu lieu : actions de péage gratuit entre cheminots et usagers, blocage de la logistique à Gennevilliers (entrepôt Géodis) et rassemblements devant des Monoprix en grève, blocages de partiels par les postiers à la Maison des Examens, appel du Comité pour Adama à le rejoindre manifester à Beaumont-sur-Oise, etc.
Ces cas précis nous indiquent la ligne à suivre. Ce n’est pas l’État ou les organisations partisanes et syndicales qui doivent dicter notre temporalité. Nous devons refuser cela et ne pas attendre les « mouvements sociaux » pour agir. Nous devons nous organiser sur des bases locales, et ainsi ne pas attendre une mobilisation nationale pour jouer aux révoltés dans des manifestations qui ne sont que des pièges à souris. Certes, il nous faudra nous retrouver dans la rue, mais dans l’état de répression actuel nous ne pouvons pas continuer à « foutre le feu » sans une réelle organisation préalable sur des bases de classe.
Suivre une telle ligne est nécessaire à la survie du courant politique autonome, qui se retrouve depuis la fin de la loi-travail dans une impasse, ne sachant pas proposer des formes de subversion autres que le désormais traditionnel cortège de tête. Trop de camarades ont étés violentés par la police, trop de camarades ont fini en taule pour rien. Il est temps de prendre soin les uns des autres au lieu de jouir du spectacle répressif qui se met systématiquement en place lors des manifestations, tel un cercle vicieux avec son lot d’éternelles plaintes.
Tout dernièrement, nous avons bien vu que lors de la manifestation du 9 octobre, le cortège de tête autonome a fait preuve (comme bien d’autres fois) d’un manque de coordination total. Dans la fac de Tolbiac, un blocage décidé par quelques individus s’est révélé absolument inefficient et contre-productif. Même s’il a eu le mérite d’attirer du monde en Assemblée Générale, il a dégoûté un certains nombre d’étudiants (souvent précaires) de la nécessité de se mobiliser. Sans coordination, nous ne nous rapportons à rien ni personne, nous sommes inorganisés et décomposés, nos actions n’ont d’interlocuteurs que nous mêmes. Quand certains appellent à manifester Place de la Contrescarpe, dans un quartier bourgeois que la police commence à avoir l’habitude de contrôler avec des dispositifs répressifs extrêmement larges, nous nous jetons dans la gueule du loup. Pourquoi se retrouver dans un tel lieu sinon par orgueil (après l’affaire Benalla au cours de l’été), par tradition ?
La lutte n’est pas une série d’évènements (faire du 1er mai notre grand jour de mobilisation, avec les syndicats, manifester tous les ans à la même date pour la mort de tel ou tel camarade, pour la mort de tel ou tel habitant des quartiers populaires assassiné par la police, attendre les journées nationales de mobilisation pour manifester en nombre, faire jouer toute notre radicalité lors des G7 ou des G20, etc). Nous n’avons que faire de nous retrouver à 17h sur une place parce qu’il le faudrait, à priori de toute considération stratégique sur le contexte et la phase politique en cours. A la temporalité monotone des organisations partisanes et syndicales, nous avons créé une pseudo temporalité autonome qui nous enferme dans des rythmes et dans des lieux que l’État et sa police contrôlent de mieux en mieux. De manière générale, « notre temporalité » comme la temporalité syndicale sont soumises à la temporalité du travail ; voilà dès lors toute la misère du « milieu autonome ».
Les groupes organisés localement doivent, quand une manifestation est appelée, se regrouper et trouver le moyen d’avoir une ligne d’action commune, sur des bases politiques et non affinitaires. Certes, « l’affinitaire » a une valeur et une efficacité politiques. Cependant, parce que le monde du travail tend toujours plus à nous diviser, nous organiser implique nécessairement de dépasser cet affinitaire et de nous regrouper derrière nos intérêts de classe communs : abolition du capitalisme, abolition de la distinction de genre, abolition de la segmentation raciale du travail, lutte pour le communisme. Le politique n’est pas affinitaire, affaire de sympathies, mais une immense structure d’intérêts en contradiction.
Soutenir les grèves et les petites campagnes de luttes s’instaurant au niveau local peut aussi être un bon moyen de recommencer à viser plus haut qu’un palet de lacrymo dans la gueule ; il s’agit aussi bien d’écrire des tracts et des articles de soutien que de s’organiser concrètement avec les bases syndicales pour faire chier nos ennemis de classe communs, et non pas nos ennemis fictifs (les vitrines de banques, les saucisses de la CGT, etc). La décomposition autonome est la raison principale de notre rupture avec toutes les bases syndicalistes révolutionnaires, avec tous les prolétaires abandonnant de plus en plus l’espoir du communisme.
L’individualisme et l’avant-gardisme ne sont pas une solution comme on a pu le croire trop longtemps, nous organiser maintenant est une mesure nécessaire à la survie et à la diffusion d’une autonomie de classe, c’est une première mesure communiste.
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