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Le Grand « Que faire ? »

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Organisation et modalités d’action : violence/non-violence, pour un syndicalisme « politique » révolutionnaire ; la question du Parti, de l’autonomie/des « conseils », l’organisation communiste selon Badiou, qui mobiliser ?

Dans un 1er article nous faisions le bilan des récents mouvements sociaux et esquissions une organisation, une stratégie et proposition positive : le communisme (écologique et démocratique). Dans une deuxième partie nous évoquions le travail de quelques auteurs sur ce dernier (et l’écosocialisme) : Badiou, Löwy, Malm, Bookchin, Friot/Lordon. Ici, en nous appuyant sur quelques uns de ces intellectuels, nous étayerons notre propos sur une organisation possible et désirable afin de nous orienter pour réaliser le communisme plus que jamais nécessaire en temps de « crise organique » du capitalisme. [1]

Convergence et stratégie écosocialiste

Reprenons pour commencer quelques idées générales avancées par Michael Löwy [2] : )« il faut susciter la convergence entre luttes sociales et […] écologiques et se battre contre les initiatives les plus destructrices des pouvoirs au service du capital. » Et ainsi « pourra émerger, dans les luttes, la conscience anticapitaliste et l’intérêt pour l’écosocialisme. Des propositions comme le Green New Deal font partie de ce combat » avec un « abandon effectif des énergies fossiles ». Son application implique de s’emparer du pouvoir d’État en gagnant les élections (ou par un assaut révolutionnaire encore moins probable...). Mais une fois au pouvoir, le gouvernement de rupture pourrait bien être empêché par les marchés financiers vendant massivement des titres de dette souveraine et provoquant ainsi une hausse des taux d’intérêt de la France pour la financer, une fuite des capitaux et in fine une « mise en panne de l’investissement et de l’embauche, c’est à dire grève de la croissance et de l’emploi » [3]. Voir ici l’expérience historique d’un tel scénario : Chili 73. Sans compter des médias « vent debout » !… D’où la proposition d’investissements financés par cotisation de B. Friot et de Réseau Salariat.
Mais il faut aussi pour Löwy : « dans chaque mouvement, […] associer les objectifs écologiques (fermeture de mines de charbon, de puits de pétrole ou de centrales thermiques, etc.) avec la garantie de l’emploi des travailleurs concernés. » Peut-être préférerons-nous ici parler plutôt de Garantie économique générale avec Lordon…

Violence ou non-violence

Andreas Malm assume une radicalité écologiste anticapitaliste dans Comment saboter un Pipeline. Il met en lumière la confusion historique de mouvements comme Extinction Rebellion revendiquant une non-violence illustrée par d’illustres exemples : Gandhi, Martin Luther-King, Mandela, les Suffragettes etc. Or il montre qu’ils ne l’étaient pas tous vraiment, du moins dans les propos et que la réussite de la non-violence venait aussi de ce qu’en concomitance, s’exerçait une pression plus violente contre les oppresseurs. Que les deux sont complémentaires : « Sans Malcom X, il n’y aurait peut-être pas eu de Martin Luther King (et inversement). » [4] Il prône donc le sabotage contre des biens matériels et non des personnes, résumant :
« 1) la mobilisation de masse non violente devrait (chaque fois qu’elle est possible) être le premier recours, l’action militante plus combative, l’ultime ; et 2) aucun mouvement ne devrait délibérément renoncer à celle-là, à laquelle celle-ci ne peut que se raccrocher, non se substituer. » [5]
« Les militants du climat ne peuvent pas se contenter d’accepter le niveau de sensibilité politique existant comme un état de fait mais ils doivent s’efforcer de l’amplifier. Ils doivent marcher devant – pas trop loin des masses, ce qui mènerait à l’isolement ; pas non plus au milieu ou à l’arrière, ce qui ferait obstacle à leur mission. Ils doivent se préparer à être calomniés par certains (le contraire serait une preuve d’inefficacité) tout en se gardant des tactiques qui risquent d’effrayer trop de gens – l’exercice d’équilibrisme auquel toute avant-garde opérante se soumet. Les actions doivent être menées uniquement si le plan, l’objectif et l’exécution peuvent être expliqués et recueillir des soutiens, dans un rapport étroit avec le niveau de sensibilité existant, afin de le faire monter d’un cran. » [6] L’auteur milite certes dans une organisation trotskyste et pour un « écoléninisme » mais le terme d’« avant-garde » doit être relativisé comme constatant juste un état de faits : certains sensibilisent à la cause écologiste, s’organisent pour cela quand la grande majorité est dans l’inaction ou plutôt passive. Qu’on le veuille ou non, il y a toujours des « éléments moteur », il ne sert à rien de vouloir couper la moindre tête qui dépasse, l’essentiel étant d’œuvrer à ce qu’il y en ait un maximum à émerger...

Pour un syndicalisme « politique » révolutionnaire

« Quand le cadre est devenu aussi adverse, continuer de vouloir s’y battre sans même esquisser la perspective de le transformer, tout en continuant d’en espérer des issues différentes, est un signe de santé stratégique, et peut-être mentale, défaillante. […] Refaire un cadre, ça n’est pas de la « revendication », c’est de la politique – pas la même grammaire. Les confédérations réellement combatives (il n’y en a pas trente-six…) doivent faire l’analyse de la fermeture définitive de l’espace social-démocrate dans lequel leur activité était fondamentalement inscrite, et muter en conséquence : il n’y aura pas de salut hors d’un syndicalisme s’assumant comme syndicalisme politique – et même comme syndicalisme révolutionnaire. […] Pour les syndicats qui ne se sont pas vautrés dans la collaboration de classe comme pour les forces politiques de transformation, contempler la chape écrasante des structures néolibérales n’est pas « déprimant » : on y gagne et l’abandon des illusions condamnant à l’échec sans fin, et l’identification plus claire de ce à quoi il faut réellement s’attaquer. » [7]
Rappelons un extrait de la fameuse charte d’Amiens très marquée par l’anarcho-syndicalisme, adoptée en octobre 1906 par le 9ème congrès de la CGT et à laquelle nombre de syndicats continuent de se référer :
« Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. ; Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera dans l’avenir le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale. »
Ils feraient bien de la relire car dans les intentions et discours des chefferies syndicales, il semble plutôt qu’ils l’aient enterrée six pieds sous terre !… Et ces bureaucraties syndicales ne sont pas disposées à véritablement mobiliser leurs bases en coordonnant les différents secteurs professionnels pour une stratégie offensive d’ensemble. En effet, elles n’appellent qu’à des journées de manifestation et de grève ponctuelles, sporadiques, sans volonté de reconductibilité et donc de pérennité à même d’assurer un véritable rapport de force avec l’État et le capital et ne pas juste défensivement négocier le moindre mal. Elles devraient alors assumer des tensions inévitables avec le gouvernement, les « forces de l’ordre » et la bourgeoisie notamment médiatique. Bien sûr, il n’est pas facile financièrement d’assurer une grève (générale) dans la durée. Mais par le passé des « caisses de grève » et la solidarité furent possibles. Voire même, comme le préconise Friot, les travailleurs, au lieu d’arrêter le travail, pourraient le continuer mais à leur façon, pour eux-mêmes et la population. Ceci, en prenant la « propriété d’usage » des entreprises pour réorienter la production vers ce qui nous est nécessaire et non nuisible. Pour accentuer ce rapport de force tout un panel d’actions pourrait alors être mobilisé : blocages, parcours non déclarés, actions festives et créatives, cantines, actions hors temporalité habituelle des manifs et grèves ritualisées etc. Tout ceci devra être à même d’attirer la jeunesse déjà mobilisée ça et là.
Ainsi, les syndicats doivent s’ouvrir et accepter que des mouvements de masses sont par nature contradictoires, d’autant plus vu l’époque de montée de l’extrême droite. Nous y sommes confrontés et le serons encore. Il nous faudra les combattre tout en proposant une vision du monde et des perspectives d’émancipation désirables, simples et claires à même de concurrencer les leurs. N’attend donc pas les militants plus chevronnés, tout chaud sorti du moule, le militant d’entant au récit cohérent et formé par exemple au « matérialisme historique ». La période commencée en 2016 contre la 1ère Loi travail ouvre une période de luttes de classes et de mouvements écologistes, féministes, antiracistes et contre la répression d’État. Elle est pour le moins confuse et ces différents mouvements s’additionnent de manière séparée. Ils sont parfois côte à côte mais souvent agissent en des lieux et périodicités différents plus qu’il ne créent une masse à même de bouleverser ce rapport de force en notre défaveur. D’où la nécessité pour les syndicats et partis politiques d’émancipation (les centrales et militants de base) de s’ouvrir aux autres groupes déjà-là moins traditionnellement constitutifs du mouvement ouvrier organisé. C’est à dire appartenant aux groupes cités plus haut mais aussi tous collectifs autonomes auxquels, dans un sens plus large, nous pouvons ajouter les Gilets Jaunes et autres groupes qui se formeront à l’avenir « spontanément » et qui devront être « travaillés » dans en sens d’émancipation pour amenuiser leurs éléments réactionnaires.

Formation politique et assemblées à la base

Ainsi, syndicalistes et membres de partis politiques « de gauche » (et leurs directions) doivent accepter de se laisser déborder, de ne pas tout maîtriser. Immanquablement ils entendront une multitude de conneries, naïvetés et autres théories du complot délirantes. D’où la nécessité d’une formation militante, historique (qui ne veut pas dire formater, on propose hein, tout va bien !…). Car il nous faut des « cadres »… Le mot fera peut-être frémir certains. Trouvez-en un autre si vous voulez, peu importe. Mais l’idée est qu’un maximum de personnes soient capables de : organiser, écrire, discourir en public, soient un minimum formé aux nouveaux outils informatiques etc. La bataille idéologique est aussi importante : réseaux sociaux, journaux papier etc. Soit des personnes polyvalentes prenant aussi leurs responsabilisés, relativement autonomes et pouvant faire preuve d’initiative.
Mais clairement, priorité des priorités : l’institution d’un lieu où tous ces collectifs et individus puissent se rencontrer. Surtout pendant les mouvements sociaux mais entre temps la liaison doit être assurée entre groupes, individus. Là-aussi, les syndicalistes, partis politiques et individus les composant doivent aider et accepter l’instauration d’assemblées de ville (voire de quartier), de coordination inter-collectifs (eux compris, comme bien d’autres). Doivent aussi selon nous y participer les divers groupes militants constitués : GJ, antiracistes, féministes, écologistes comme Extinction Rebellion, Youth for Climate etc. Il serait temps que ces derniers cessent de considérer le social et l’écologie comme des luttes séparées pouvant converger mais les considère systématiquement comme inexorablement intriquées. L’un n’allant pas sans l’autre ! Et de même pour les groupes et individus à vocation plus exclusivement sociale. Ces assemblées en auto-organisation en bonne entente et confiance dans la prise d’initiatives, sans horizontalité excessive incapacitante doivent être ouvertes à tous dans le respect d’une charte aux valeurs d’émancipation. Clairement, pour ne tolérer en rien la présence de l’extrême droite, de ses idées et valeurs. Mais surtout, elles doivent être décisionnaires pour l’orientation du mouvement social et autres travaux de structuration par temps calme. Pour cela diverses commissions peuvent être créées : communication, logistique etc. L’assemblée en décidera et bien sûr les mandatés ou volontaires plus simplement - car ça ne se bouscule pas toujours pour effectuer des tâches concrètes - pourront tourner. Voire être révoqués si vraiment ils font n’importe quoi. Ceci, surtout pour ne pas s’épuiser à la tâche et ainsi se structurer sur la durée. Si des organisations mandatent des personnes à ces assemblées, leurs votes doivent être décisionnaires, autrement dit les collectifs qui les mandatent doivent appliquer ce qu’ils y décident in situ. Mais bien sûr, libre à eux de s’organiser comme il leur semble : de multiplier les aller-retours avant de valider quoi que ce soit. Même s’il faut se méfier de la lenteur que cela pourrait engendrer. Quoi qu’il en soit, ces groupes et individus se fédérant en assemblées de ville peuvent en dernier ressort ne pas appliquer les décisions qui y sont prises, s’allier aux autres groupes ou s’en désallier selon les circonstances. Ce même principe de « démocratie directe » inspiré du « conseillisme », peut comme dans ce dernier, s’appliquer en entreprise puis se fédérer par branche professionnelle, elles-mêmes se fédérant etc. Soit « l’imbrication de l’auto-législation et de l’exécution » pour sortir du « substitutisme » (parler et agir à la place des concernés...) et du « spontanéisme » : une auto-organisation d’une puissance collective avec « rotation des tâches » fonctionnant par mandats impératifs et révocation possible des élus comme lors de la Commune de Paris de 1871. Le « principe de confiance » est primordial, il faut donc connaître les autres et en être connu. [8]
Mais l’idée générale est l’interpénétration des différents groupes militants constitués et non simplement leur juxtaposition plus ou moins artificielle. Ainsi espère t-on aussi que chacun pourra y apporter ses compétences, que celles-ci pourront être mutualisées et profiter au plus grand monde avec pourquoi pas des séances de formations techniques, débats, conférences ou sur le mode de l’« éducation populaire » (même si le terme fait un peu : « on va civiliser le sauvage ») afin d’aider à la polyvalence et d’étendre la formation générale de militants. Ces processus démocratiques sont longs et parfois fastidieux. Alors nous devons viser une simplicité (initiatives) et discipline (mot honni !) suffisantes pour être efficace.

Nécessité d’un lieu de vie militant et d’une coordination permanente du mouvement social

Fréquemment, les faibles structurations de circonstance construites lors de mouvements sociaux « s’évanouissent dans la nature ». Les contacts intergroupes et interpersonnels se distendent. D’où la nécessité de fédérer, coordonner pour assurer une vie « à côté du capitalisme » et des ses institutions politiques, par des « maisons du peuple », pratiques d’entraide, culturelles. Ici toujours la nécessité d’un lieu comme par exemple L’Avenir à Brest : de rencontre et d’événements en lien avec la politique notamment, au sens large, c’est à dire œuvrant à l’émancipation des corps mais aussi intellectuelle et culturelle. Le PCF, malgré tous ses défauts - une bureaucratisation à la tête, le suivi de la ligne de Moscou etc. - avait ses maisons d’édition (livres, journaux), ses associations, son « communisme municipal », ses cellules d’entreprise, de quartier ou autre échelon, avec la CGT en « courroie de transmission »... Bref, une contre-société ancrée localement, au niveau du département, de la région, de tout le territoire national avec des liens à l’international (Lire sur le sujet Julian Mischi). La politique ne doit pas se limiter à l’élection mais être constamment en lien avec la population. Cette dernière doit pouvoir « trouver la politique », très concrètement et directement, en des lieux consacrés, sans intermédiation. Rien à voir avec les projets participatifs proposés par diverses mairies ! Dans notre cas il s’agit d’agir, sans recevoir passivement « de l’extérieur ».

Nous avions dit dans un 1er article que les différentes stratégies ne s’excluaient pas nécessairement mais pouvaient se combiner : élections, syndicalisme politique révolutionnaire, grève générale expropriatrice avec occupation de lieux de travail, ZAD et autres « à côtés du capitalisme », autonomie et conseils, municipalisme libertaire, voire insurrection et sabotage, désobéissance civile etc.
Ces dernières années les mouvements sociaux et écologistes se sont multipliés sans débouché politique. Car malgré les difficultés probables énoncées plus haut lors de l’arrivée d’un gouvernement d’émancipation sociale et écologique au pouvoir, cette prise de l’appareil d’État peut amener quelques avancées, n’empêchant pas de continuer à travailler selon les autres modalités que nous venons de citer. Mais, comme même Lénine le revendiquait dans La Maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), la tribune parlementaire dans la démocratie bourgeoise peut servir à attiser la lutte des classes si elle est suffisamment médiatisée et ainsi participer à la conscientisation politique des masses. Aujourd’hui ça ne paraît pas flagrant tant nombre de gens semblent s’être totalement désintéressés de la politique « officielle ».

La question du parti

Les partis sont de moins en moins prisés, vidés de leurs effectifs. Se pose toutefois la question d’un parti révolutionnaire pour sortir du capitalisme et aller vers à minima l’écosocialisme mais surtout un communisme démocratique et écologique. « Parti » à prendre ici comme un outil pour coaliser les forces s’étant réunies pendant les différents mouvements sociaux. Il n’est donc pas une fin en soi mais, outre sa fonction tribunitienne dans les institutions républicaines, peut être utile essentiellement comme organisation à implantation territoriale en lien avec la population, participant aux mouvements sociaux, à la vie locale (ZAD, « à côtés du capitalisme », entraide comme les « brigades de solidarité populaire »), culturelle, à la Presse militante. Car nous devons préparer notre « hégémonie culturelle ». Bref, le parti à comprendre moins comme une machine de guerre destinée à partir tous les 5 ans à l’assaut du pouvoir d’État et autres élections, que comme l’expression même de la vie civile, des associations, pénétré de tous les différents individus peuplant des groupes militants locaux, que ce soit à vocation plus sociale ou écologique. Il doit viser à la « non-séparation » même si subsisteront probablement des niveaux de représentativité. Mais il s’agira de l’expression directe des concernés eux-mêmes, de la vie productive également : syndicalistes, producteurs etc. Il composera une sorte de caisse de résonance, de coordination des réalisations et expressions émancipatrices de la société, son émanation et non sa substitution, afin d’organiser collectivement une force à même de peser efficacement face à de puissants adversaires.
Lors des mouvements sociaux, un tel parti ou organisation (si vous préférez, ça fera moins peur…) ne devra que se mettre au service de ce qui existera concrètement à la base, dans les masses moins chevronnées à la politique. Et largement en être l’émanation. Ce qui nous manque aujourd’hui c’est la mise en pratique d’un autre modèle de société. Cesser de revendiquer à nos bons maîtres mais affirmer une généralisation politique, des grèves de masse politiques visant à contester le capitalisme et ses institutions politiques, l’État et le gouvernement ! Pour lui préférer le communisme : ce pouvoir sur la production des « producteurs associés » à sa réalisation, ainsi que de la société civile, l’expropriation des grands moyens de production et la démocratie économique. Cette organisation pourrait aider à cette généralisation sur tout le territoire national avec des liens à l’international.
Il pourrait aussi œuvrer à faire reconnaître et mettre en pratique la nécessité de grèves offensives pour : l’extension de la cotisation ; la « propriété d’usage » des entreprises par les travailleurs eux-mêmes ; leur auto-organisation et « souveraineté sur le travail » ; des investissements décidés collectivement à différents échelons (local, régional, national) par des caisses d’investissement (Friot/Lordon). En somme, faire tout pour aider à faire avancer les idées de communisme et son effectivité s’appuyant sur des déjà-là comme la création en 1945 en France du régime général de Sécurité sociale, « subversion communiste » du régime de sécurité sociale préexistant, comme le dit le même Bernard Friot.

L’organisation communiste selon Badiou

 [9]« L’Idée communiste » doit être portée par un « sujet collectif » indéterminé à priori. Ainsi, selon l’idée de Marx, les communistes « ne sont pas « à part » », « une composante séparée ». Ce « qui exclut […] qu’ils se rassemblent sous la forme d’une avant-garde détachée, ou d’un parti fonctionnant en vase clos ».
Il ajoute : « Le concept fondamental est moins celui d’une direction que celui d’une orientation » afin de « faire connaître l’étape d’après […] de dire à quoi peut ressembler le futur immédiat » et ainsi « cerner les contours des formes politiques concevables au regard de la situation présente ». « D’où la nécessité de bien visualiser l’aboutissement du mouvement révolutionnaire, de prévoir ce qui vient, de se garder des simples impulsions négatives, et c’est une responsabilité fondamentale de la politique communiste. ».
Il préconise aussi un internationalisme qui ne doit pas « se fige[r] dans une entité séparée », ceci « au sein même des processus d’émancipation locaux » qui doivent être vus comme « concern[ant] l’ensemble du monde ».
Enfin, dit-il : « les communistes défendent une stratégie globale, subsumée par l’Idée telle que je l’ai présentée, et dont la matrice est l’anticapitalisme ».
Ces éléments d’organisation peuvent sembler contradictoires avec le principe d’assemblées en auto-organisation et avec la notion de parti évoquée plus haut. Mais le tout est d’envisager cette dernière comme une forme mouvante, flexible, une agglomération constituante évolutive et flexible, avec retraits individuels possibles et une vigilance à ne pas tomber dans une centralisation et « bureaucratisation » excessives. Car des micro-pouvoirs sont toujours à l’œuvre, il y aura toujours des « éléments moteur ». Certains en feront plus que d’autres, d’autres ne voudront tout simplement pas trop en faire ou n’oseront pas. L’important est de limiter les excès de puissance en répartissant les tâches et en assurant leur rotation. Soit une organisation qui ne serait donc pas comprise comme un embrigadement permanent et privilégierait autant que possible l’autonomie locale et le principe fédératif pour une coordination efficace tout en restant puissante.

Qui mobiliser ?

Badiou encore : « nous devons, nous, communistes, travailler à fusionner l’aspect de l’Idée avec les actions locales susceptibles de l’incarner, en créant chez les acteurs potentiels de ces actions une nouvelle subjectivité politique, encore latente aujourd’hui. La tâche politique éminente est de travailler à la conjonction de quatre forces pour l’instant hétérogènes : […] la jeunesse éduquée, formée à l’université, qui se signale par sa volonté de remettre en cause l’ordre dominant ; [...] la jeunesse populaire et contestataire [...] qui vit à la périphérie des grandes villes dans nos contrées, ou celle qui se soulève un peu partout dans le monde[...] ; il y a ce prolétariat nomade international […] et enfin la fraction la moins établie des salariés ordinaires de nos sociétés « confortables », que les crises frappent de précarité et d’incertitude. Tous ces acteurs peuvent être lentement réunis, fédérés autour de l’Idée communiste à même de donner un contenu et un horizon à leurs aspirations disparates. » [10]
Friot [11] parle lui de la nécessité de construire une « classe révolutionnaire : le salariat ». Soit une alliance entre le sujet historique révolutionnaire traditionnel que fut la classe ouvrière (syndicalistes et militants politiques), les « trentenaires éduqués qui ne veulent pas jouer le jeu du capital, qui sont pour un changement de la production » et les personnes issues de l’immigration des quartiers populaires. Soit en termes de classes : l’alliance de la petite bourgeoisie intellectuelle avec les classes populaires largement féminisées (ouvriers, employés). Le mouvement des Gilets Jaunes l’était particulièrement, avec une forte proportion de femmes travaillant dans les secteurs des services à la personne (métiers du « soin », du « nettoyage), ainsi que dans des activités indispensables comme caissières. Les hommes eux exerçaient beaucoup dans le secteur logistique (caristes, chauffeurs routiers), très importants pour assurer les flux du capitalisme et donc potentiellement mobilisables pour les freiner voire bloquer... Les Gilets Jaunes, cette classe moyenne basse périurbaine atomisée, paupérisée et précarisée, aux modes de vie dégradés, doit aussi contribuer à cette alliance pour une « classe révolutionnaire », à laquelle nous pouvons ajouter plus spécifiquement la jeunesse, mobilisée contre les violences policières et le racisme ainsi que pour le climat, les mouvements féministe et LBTGQ+, de la culture (intermittents du spectacle), des précaires et chômeurs. La baisse du niveau de vie en France risque d’encore s’aggraver (baisse des salaires, pensions, minimas sociaux, austérité, privatisations etc.). Alors nous devons mettre particulièrement en avant la question économique et sociale, en lien avec l’écologie. Et, même si cela n’est pas simple à réaliser et peut susciter incompréhensions et divergences, c’est bien ce genre d’alliances de classes qui a toujours permis les révolutions qu’il nous faut concrétiser.er.

Pour conclure, la combinaison des formes de luttes est possible et même souhaitable, en nous inspirant du travail d’intellectuels et luttes passées. Ainsi, ne soyons pas sectaires et articulons/coordonnons les groupes et mouvements existants dans le respect d’une démocratie directe et de leur autonomie. Ceci, sans renier la nécessité d’avancées partielles, avec rigueur et détermination autour d’une visée stratégique, idéologique et concrète de long terme : le communisme, sans cesse se réalisant, ici et maintenant...

Pour approfondir le sujet

Sur les syndicats dans les récents mouvements sociaux à Brest

Notes

[1« la « crise organique » de Gramsci est le concept pour saisir l’époque. Il y a crise organique quand les contradictions inhérentes aux rapports sociaux du capitalisme atteignent des seuils d’intensité qui les rendent impossibles à accommoder par les institutions en place, en premier lieu par les institutions économiques (régime du salaire et de l’emploi), ensuite par les institutions politiques dont la fonction est, en quelque sorte, de reprendre le « reste à accommoder » qui leur est laissé par les institutions économiques. »
Frédéric Lordon, Bernard Friot, En travail. Conversations sur le communisme, Entretiens, La Dispute, 2021, Paris, p. 252-253

[2Michael Löwy, Qu’est-ce que l’écosocialisme ?, Temps des cerises, 2020, Montreuil, p 151-152

[3Frédéric Lordon, Figures du communisme, La Fabrique éditions, 2021, Paris, p. 179

[4Andreas Malm, Comment saboter un pipeline, La Fabrique éditions, 2020, Paris, p. 63

[5Ibid., p. 144

[6Ibid., p. 149-150

[7Frédéric Lordon, Figures du communisme, op. cit., p. 206-207

[8Ces concepts entre guillemets sont extraits de : Contretemps, Le trésor perdu de la démocratie des conseils

[9Alain Badiou et Marcel Gauchet, Que faire ? : Dialogue sur le communisme, le capitalisme et l’avenir de la démocratie. Philosophie magazine éditeur, 2014, Paris, p. 64 à 66

[10Ibid., p. 70

[11Bernard Friot & Judith Bernard, Un désir de communisme. Conversations pour demain, Les Éditions Textuel, 2020, Paris, p. 106-107

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