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Chronique intérimaire # 4 - Chez « la bonne boîte »

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Des rumeurs par ci par là comme quoi « c’est une bonne boîte » et l’occaze d’y faire un essai…Entendre par bonne boîte, pas de tyran auto-proclamé, seulement la carotte, alors…que demande le peuple… ?…

Par bonne boîte, aussi, on entend une offre de conteneurs modulables, pour usages personnalisés, la médaille de l’innovation en prime, et un site tout en anglais...
Logée elle aussi le long de la 4 voies mais cette fois-ci, pas loin d’un Leclerc de luxe où l’on pratique le 14e mois pour les heureux salariés qui y bossent, un peu la « zone expérimentale  », un peu "cool" quoi…

Un grand hangar abrite le maille, d’où s’affiche l’heure en cristaux liquides depuis la route, collé à lui, un petit baraquement pour les bureaux, et un autre pour les sales de pause, tout ça démontable, au cas où ça pique du nez, zou...!

Ici, c’est la bonne humeur transparente, genre on y a tous intérêt et c’est cool : rendez-vous est pris avec un chef d’atelier libéral-speed-correct ; on s’entend sur ton statut de débutant, tu confesse que t’as des progrès à faire, que ta productivité est en construction… mais que tu es minutieux, réactif, heureux de travailler en petite équipe, alors ok, on te donne ta chance…

Tarif ? 10, 50 ?… – Non, 10.20, (brut bien sûr), prime de production dans un mois si tout se passe bien, pareil pour les heures sups de deux heures possibles avant et après tes huit heures (donc possible 10 heures par jour), le vent macronien souffle avant l’heure ici…

À l’atelier, Tout pour le conteneur sur mesure : des escabeaux, des postes à souder, et les collègues qui cohabitent dans une promiscuité certaine… Un soudeur galonné, au visage creusé et à la démarche prudente t’accueille, « Salut, tu me fait une descendante là, un mètre au moins », tu t’exécutes. Ça tape de l’autre côté de la cloison, c’est exprès ou quoi ? ça fout en l’air l’aspect de ta soudure mais ça passe, « c’est pas mal  », « c’est pas mal  », puis direction l’autre collègue pour voir si tu sais tenir une grosse meule, découper du haut de l’escabeau jusqu’en bas sans mordre le trait, « ok c’est bon »,
Retour au chef, « t’as ton sésame », « super », peu importe, il est déjà parti…tu bosseras en trinôme, petite équipe, c’est bien ce que tu voulais hein ?

Le lundi suivant, tu es devenu meuleur, ou plutôt décapeur de peinture parce que les boites elles arrivent neuves et, pas de bol, aussi, car déjà peintes… En gros tu prépare les soudures, ça pique, ça sent fort à travers le petit masque à poussière qu’on t’a filé…

Ici, pas de fouille merde, tu gères, on gère, on est motivé, bon, faut dire que ça cause fric un peu à toutes les pauses… T’as de la chance, au moins, les gars sont de ton âge, et c’est ici que le café se prépare, alors ça rameute les collègues d’en face et du fond aussi un peu. Le fric, cette carotte indépassable, détrône sans que mot ne pipe, ton idéal niaise de l’aventure… Observer, être là, assumer sa place en tant que point d’interrogation fumeux, entre blagouze de radio et tranches de vie reglo…

Allez, on y retourne ! Tu déguste la peinture, tu la bouffe, ça colle aux cheveux en minuscules particules

Midi. Salle de pause une étoile, télé ecran plat, propreté : du jamais vu, quelques zigues mutiques devant leur phone, et c-news qui cause de big data à la sécu et des préparatifs techniques avant le grand débat téloche politik. On est muets comme des carpes, puis l’annonce d’interview du porte parole du FN, toujours rien mais ça mate. Tu sors finir ton repas dans ta caisse… à côté d’un mec dans sa golf 1 qui lit son bouquin pépère… Des vieux jouent à la pétanque, tu t’approche puis te ravises, pas prêt à taper la jacquetance à froid…ceux-là prennent le caf’ aileurs…

Jour 2 et les suivants

Au menu : les premières étapes de l’aménagement de conteneur : pose de passages de câbles : maintenir une longue grille à bout de bras, trimballer avec soi le poste qui fait ses vingt kilos…(câbleries, meuleuses, postes à souder, toute une logistique du poste de travail mobile). positionner les grilles avec un niveau à laser, qui bipe avec insistance, marquer la position, pointer, puis souder, souder comme on respire, en continu, avec le moins de ruptures possibles…

Midi rapplique, la télé dégueule la même pseudo apréhension pré-débat electoral qu’hier, et toi, en guise de revanche inconsciente face au mutisme de la salle de pause, tu oublies de nettoyer quelques grains de riz sur ta chaise qui vaudra au collègue sudiste d’être engueulé par les vieux…

 Sudiste », soudeur trentenaire, 15 ans d’expé, fort accent de Touloose, montre ses photos de tunnel de montagne avec 25 soudeurs baguette à l’intérieur…pas la même, mon poto…)

Retour à ces odeurs fortes et poussières venimeuses qui sont quand même bien entêtantes. c’est sans doute ça le prix à payer pour bosser dans une boîte « jeune et dynamique ». Va falloir rabouter ces fichues grilles en acier galva, ce qui ajoute au tableau : belle petite réaction qui se transforme en mousse légère et jaune qui flotte dans l’air, les flammes produites se muent en bulles jaunâtres – le tout absolument pas bon pour l’organisme – tu finit ça par du meulage d’épicier.

Ah et il faut condamner les trappes à manutention du chassis… jusque là t’avais esquivé, mais le reste étant torché.., y a plus qu’à se farcir l’effet pot d’échappement – le revêtement antirouille en pétrole brut qui entoure la zone cuit à petit feu et dégage, quand à lui, une fumée noir franche autour d’un crépitement de flammettes vivaces…exquis…

Ah, et puis, ras le cul ! Tu vas au magasin tenter ta chance pour une cagoule ventilée. On t’avait dit qu’ils n’en filaient pas aux tout nouveaux. Le magasinier, blazoïde cinquantenaire, méfiant, envoie sa stagiaire, mais qu’a pas l’air née de la première pluie non plus, elle te remet la dernière qu’ils ont, tu dis merci et tu t’en retournes. Et alors, ouahou, tes « capacités productives » sont décuplées… ce petit filet d’air plus ou moins frais ( ‘tention quand tu pête…), un nouveau monde…jusqu’à se voir meuler en direction du vieux du départ qu’a bien plus qu’un œil braqué sur toi…une morale, une éthique de l’ouvrier… et là tu perds un point : il te montre l’usage du rideau occultant, pour épargner les collègues…

Souder, en cordons longs, en descendante, ce vague sentiment de commander ce qui ne se commande pas, le point de fusion toujours instable, le bain dont tu te contentes d’anticiper la vitesse de dégoulinure, un truc éminemment fragile…Bon…ça reste acceptable… et le mantra « quand c’est meulé, c’est raté » est toujours présent dans ton esprit, source d’angoisses.

Tu te retrouves souvent à demander la suite…Richard, ton âge, blond, encarté cfdt, toujours la patate, une certaine légèreté tant que l’image du plastron famille-salaire-maison entoure sa bonne humeur, un humour pas toujours à la hauteur, mais pas grave, il assure au taf, et meuble bien les conversations, et puis ici c’est là qu’on aime prendre le caf, son nom est marqué un peu partout ici.

Son binôme, le Fred à l’entrain encore plus marqué, côté bourrin, fume sous sa cagoule pour conjurer les fumées de la galva, « le cancer c’est dans la tête », « enfin toute façon au point où on en est », on gueule, on répète les refrain entendus depuis le poste radio il y a une minute, avec dérision et grasserie, on occupe les espaces sonores laissés vides entre deux tronçonnages ou manutentions.

Mercredi aprèm, le mot passe, « demain c’est Barbecue ». Rassemblement des djeuns, des bazanés, des roumains, et toi, et « les vieux, ils viennent pas ? » – « kizi restent à leur pétanque, vaut mieux  », clivage il y a bien… Chipo, merguez, Ketchup, mayo, rhum, citron, cubis… l’essentiel, quoi. On a 3/4 d’heure pour se refaire une santé, ya même une guitare qui traîne, alors pas le moment de faire la gueule. Le roumain est préposé aux guezs et s’en plaint un peu komême, tu prends la relève. L’apéro échaude au quart de tour, sandwichage sauvage, tranches de rires par salves… Le sudiste est aussi un bon de la brousse, ses histoires de palombières en conteneur enterré, de bûcheron et de bouilleur de cru se mêlent aux rires. Le grand black en combi blanche de peintre, toujours tout sourire, et puis le mutique barbu straight-edge reste dans sa froideur, gratouille pendant que les degrés montent chez les autres.

Grève de 2016 en évocation. Une poignée qui s’est organisée pour obtenir des trucs de base, comme une vraie ventilation, de vrais équipements individuels de protection…En guise de réponse, la direction déclare la grêve « inutile et non avenue », et après quelques semaines de ralentissement « inutile et non avenu  » de la production, cède pour une partie d’équipements tout neufs…à défaut du réseau d’extraction exigé…difficile à installer vu la manutention des boîtes... merci la cfdt…

Entre temps, assurer des guez et écouter parler est ton lot, et t’en as fais le tour, alors tu prends la gratte, et lance un flamenco qui n’attendait qu’à exciter les plus chauds.
Mais v’là déjà que retentit le carillon, les autres ont déjà repris, deux sacs-poubelle de 100 litres déjà remplis, le marqueur réel de notre échappée, tournée de clopes en mode pompier, l’alcool accrochera les coeurs jusqu’à la pause café-eau-de-vie (eh, ho, peu importe ! Si on bosse…).

Faut dire aussi qu’un des premiers cagnards de l’année est en train de sévir, dehors. Les postes à trimballer ici puis là, pèsent un âne mort, tu te rappelles que t’es au test, malgré l’ambiance soleil-rhum. Et il y a l’autre interimaire, qu’est arrivé le même jour que toi, lui, n’a pas ripaillé, il soude-meule-soude-meule, bronche pas, fait pas de pause à rallonge, parle juste ce qu’il faut, fume un peu beaucoup pour conjurer le sort : il maille, c’est tout.

DERNIER JOUR, tu t’y attendais, faut dire, avec cette merde que t’arrives pas à respirer avec amour et cette cagoule ventilée qu’est finalement trop lourde elle aussi, et les blagues un peu trop grasses qui te perlent dessus, tu suivais pas tout-à-fait ; ça tiquait …Alors que tu blacksonnes le chassis au rouleau, plongé régulièrement dans un baril de pétrole quasi brut, le chef apparaît devant toi toujours speed et un peu gauche mais sûr de lui quand même :
– Bon, euh
– Hum, Salut…bonjour…
– Ou…salut, euh, donc ils t’ont dit ?
– Non…
– On va arrêter là la mission, ils vont plus vite à deux, ils se connaissent bien, toi j’te vois mieux à la chaîne pour l’instant. Et, t’inquiète, j’te descend pas pour la boite d’interim, hein, bon courage », il tourne talons.

Fred se veut rassurant ; remarque, son frère jumeau y est toujours, à la chaîne, « là bas dans l’agricole, au moins c’est sûr, t’apprends à souder, t’étale du cordon et on te fait pas chier, que ici, t’est toujours à faire ci, faire ça »…On se dit un salut rapide et basta

Alors, la suite c’est ça ? le temple du machinisme agricole en mode lourd de chez lourd ? Fred, lui, ce week-end va ressortir sa moto, et toi, tu remplis ta ptite feuille avec numéro d’affaire, nombre d’heures, et tu déguerpis fissa. Les vieux dehors autour d’un hayon de caisse ouvert en train d’échanger des marchandises te toisent du regard sans broncher en te voyant sortir avec tes affaires dans les bras…Tchao labonneboîte !

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