Alors qu’ils passaient devant le bureau de poste principal d’Adelaide, ils pouvaient voir au bout de la route environ 500 chômeurs/chômeuses courant jusqu’à l’expulsion qui avait lieu environ 100 mètres plus loin. Quatre mecs qui transportaient des meubles sur la route les ont vus également et ont immédiatement déguerpi, à une vitesse pouvant les faire passer pour des sprinters en plein Jeux olympiques. Passant à travers un groupe de femmes du voisinage, les expulseurs reçurent insultes et coups de poing.
Jim McNeill, in Depression Down UnderLa résistance aux expulsions en Australie, 1929-1936
La Grande Dépression (qui commence avec la crise économique de 1929) a fait monter en flèche le nombre d’expulsions de logements, en Australie comme ailleurs. A l’époque, dans les quartiers populaires comme Newtown et Richmond à Melbourne ou Redfern à Sydney, presque toutes les familles étaient touchées par ces expulsions, directement ou indirectement. Rien qu’entre le 31 décembre 1934 et le 30 septembre 1935, 6 484 ordres d’expulsion sont sortis des tribunaux de Sydney. Pratiquement aucun quartier, aucune ville, aucune banlieue d’Australie n’étaient épargnés par ces expulsions.
Contre les expulsions, les chômeurs/chômeuses se sont souvent organisé-e-s avec l’Unemployed Workers Movement (UWM, Mouvement des travailleurs/travailleuses sans emploi). Dominé par les communistes, mais pas complètement contrôlé par eux, l’UWM menait des luttes pour l’augmentation des allocations de chômage (dole) et contre le harcèlement et le contrôle social des services sociaux. Leur position de départ était que les chômeurs/chômeuses n’ont.pas à être rendus responsables de leur situation et ne devraient pas en pâtir. Pour atteindre leurs buts, ils organisaient des manifs, des délégations , des soupes populaires, des « grèves de chômeurs/chômeuses » et des occupations. Un nombre important de membres de l’UWM ont passé du temps en prison suite à leurs actions.
L’UWM a aussi aidé à fonder les Anti-Eviction Committees (AECs, Comités Anti-Expulsions), lesquels luttaient pour que les chômeurs/chômeuses soient dispensés de payer un loyer. Ces groupes utilisaient différentes stratégies contre les huissiers, les propriétaires, les entreprises financières et ceux qui en général faisaient chier les chômeurs/chômeuses. Les comités abordaient les gens menacés d’expulsion et leurs proposaient de mettre en place des piquets devant chez eux , de les aider si besoin pour la nourriture, la garde des enfants, le déménagement, etc. Alors, ils rendaient généralement visite au propriétaire ou à l’agence immobilière pour les prévenir qu’il n’y aurait pas d’expulsion sans résistance. Des délégations pouvaient également s’inviter aux conseils municipaux ou autres bureaux gouvernementaux pour essayer de les forcer à fournir une aide matérielle aux personnes sans abri. Parfois, avec ou sans les personnes menacées d’expulsion , les picketers pouvaient occuper la maison et la barricader. D’autres fois, par vengeance, pour faire chier le propriétaire, ils pouvaient détruire la maison expulsée... Durant les années 1930, la résistance a aussi pris place dans les tribunaux, de plus en plus de locataires expulsables faisant appel des décisions de justice, ralentissant les procédures... Et alors que les AECs se focalisaient toujours plus sur l’idée de fournir une aide légale, voire une représentation légale, aux personnes menacées d’expulsion, d’autres formes de résistance étaient demandées.
Dans les campagnes, des milliers de fermier-e-s ont vu leurs terrains mis aux enchères au profit des banques auprès desquelles ils étaient endettés (mortgage/hypothèque). Tandis que la plupart d’entre eux refusaient d’employer des tactiques radicales de résistance (résultat, ils ont dû abandonner leurs terrains), quelques-uns se sont décidé à riposter. Un bon nombre d’enchères ont dès lors été perturbées, des groupes de fermier-e-s se sont mobilisés pour empêcher quiconque d’y participer. Malheureusement, la résistance rurale aux expulsions est restée une chose relativement rare.
La chronologie qui suit liste seulement un petit nombre d’actions parmi les centaines (si ce n’est les milliers) qui se sont déroulées à travers l’Australie pendant la Grande Dépression. Les infos présentées ici ont en grande partie été prises dans les archives du Workers Weekly (L’Hebdomadaire des Travailleurs/travailleuses), le journal du Parti communiste d’Australie (CPA, Communist Party of Australia). Le début des années 1930 a vu le CPA dans sa période la plus authentiquement militante, avec ses activistes et ses documents encourageant à la résistance autant que possible. Mais à partir du milieu des années 1930, le Parti a opté pour une stratégie de « front populaire » et a commencé à courtiser les classes moyennes, à quémander le soutien des syndicats, en modérant aussi bien ses postures que ses actions. Résultat, les informations sur les luttes contre les expulsions se font de plus en plus rares dans le Workers Weekly et finissent même par disparaître aux alentours de 1936, alors que la résistance aux expulsions a continué activement au moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
Le sexisme présent au sein du CPA signifie aussi que la plupart des comptes-rendus d’actions de résistance invisibilisent totalement l’implication des femmes, affirmant ou sous-entendant que seuls des hommes y participaient.Malgré ses limites, cette liste d’actions nous éclaire sur les combats menés quotidiennement à l’époque. Liés à l’effondrement économique qui alors toucha entre autres l’Australie, cette liste montre que l’action auto-organisée peut avoir un impact réel sur le monde.
Passages choisis de la chronologie :
9 juillet 1929, Adelaide
Un millier de chômeurs/chômeuses se rassemble pour empêcher l’expulsion d’une famille dont le père est au moment même sorti chercher du travail. Le seul policier présent avait déjà tué le chien de la famille (un terrier) en « auto-défense ». Il a ensuite menacé la foule avec son revolver. Pour autant, personne ne bouge, même quand des renforts de police arrivent. Le propriétaire accepte finalement de laisser la famille dans la maison, jusqu’à ce qu’ils puissent trouver une autre maison.Octobre 1929, Sydney
Un secrétaire du Labor Party (Parti du Travail, actuellement à la tête de l’Etat en Australie, équivalent politique du Parti socialiste en France), F.F. Ward, engage de nombreuses poursuites judiciaires dans le but d’expulser des chômeurs/chômeuses de plusieurs de ses propriétés dans la région de Sydney. Malgré les piquets qui se tiennent jour et nuit, des flics, soldats et huissiers/intendants (bailiffs) finissent par les mettre dehors.
22 mai 1931, Sydney
Dans le quartier de Lakemba, des piquets doublés de l’occupation collective d’une maison permettent de repousser une expulsion. L’habitant-e est dès lors autorisé à rester dans sa maison sans avoir à payer de loyer tant qu’il/elle n’aura pas trouvé de travail. A la suite de cette victoire, une grande fête est organisée sur la pelouse.
Janvier et février 1936, New South Wales
Plusieurs membres de la Wheat Growers Union (Syndicat des producteurs de blé) ont récemment été menacé-e-s d’expulsion et s’organisent pour résister à toute tentative d’expulsion. En réaction à cette mobilisation, le gouvernement Stevens suspend des procédures d’expulsion qui visent un certain nombre de fermier-e-s. Malgré ces mesures, de nombreuses menaces d’expulsion continuent de peser sur des fermier-e-s. Lors d’un meeting qui rassemble plus de 200 d’entre eux à Rankins Spring, des affrontements éclatent entre fermier-e-s et membres du State Government Debts Relief Board (commission d’Etat spécialisée sur la question des dettes). Les médias locaux tentent, en vain, de créer des scissions entre fermier-e-s anglo-saxons et groupes de settlers (colons) italiens.6 mars 1936, Sydney
Dans le quartier de Rozelle, des locataires empêchent une augmentation de loyer (initialement imposée par le propriétaire Monsieur Myerson) grâce à leur mobilisation : pétitions, rassemblements de protestation, grève des loyers...4 août 1936, Sydney
Des travailleurs employés pour la démolition d’une maison refusent d’en enlever le toit quand ils s’aperçoivent que la locataire, une femme dont le mari est à l’hôpital, refuse de quitter les lieux. Le contremaître convoque alors d’autres travailleurs qui eux acceptent de faire le sale boulot, mais la locataire décidé de rester coûte que coûte. Le proprio est finalement forcé de lui trouver un relogement et d’y déménager gratuitement ses affaires.
[1929-1936] La résistance aux expulsions en Australie
La crise économique qui sévit en Europe et à travers le monde depuis quelques années donne lieu à une augmentation affolante des expulsions de logements. Que l’on soit squatteur/squatteuse, locataire ou même petit-e propriétaire, l’expulsion est une possibilité à envisager sérieusement. La question des moyens de s’organiser pour résister aux expulsions semble pouvoir concerner de plus en plus de monde, et derrière son aspect « défensif » peuvent se loger de bonnes raisons de se révolter et d’entrevoir des perspectives révolutionnaires.
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