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Moovit, aller plus vite : pourquoi et à quel prix ?

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Sur la page principale de son site officiel Moovit nous invite à « rejoindre une communauté de 30 millions d’utilisateurs pour améliorer l’usage des transports en commun dans le monde ». Grâce à cette application il serait possible de « toujours trouver un meilleur moyen de rejoindre sa destination ».

Elle permet, quand on emprunte les transports en commun, de nous proposer le trajet le plus court, d’estimer notre heure d’arrivée ainsi que de transmettre et recevoir des données sur « l’affluence en station, la propreté, la situation en temps réel, ou encore les incidents au long de votre parcours ».

En clair elle choisit, à notre place, un itinéraire « adapté » à notre destination et nous avertit sur les « désagréments » que l’on pourrait rencontrer : retards, transports bondés, saleté, grève…

L’application est en pleine expansion et vient de se lancer dans 16 villes en France. A Brest comme ailleurs les services de transports locaux collaborent avec l’entreprise de San Francisco pour mettre en place cette application sur leur réseau, dans le but affiché de fluidifier les transports en commun et de faciliter l’orientation pour les visiteurs-trices de passage.

Encore un flic

Pour les responsables marketing de Moovit comme pour le directeur de Keolis Brest, Moovit ne serait qu’un outil nous permettant de faciliter notre quotidien. Pourtant, il n’y a pas besoin de creuser énormément le sujet pour qu’apparaissent des interrogations.

Selon la brochure vantant les mérites de la dernière version de Moovit : « Moovit 4.0 repose sur l’implication des utilisateurs qui partagent leurs expériences dans chaque transport, en temps réels, afin d’aider la communauté, à mieux organiser son trajet grâce aux bons plans et informations fournies. »

« L’implication des utilisateurs » : derrière ce terme qui sous-entend une forme de coopération collective, il n’y rien de plus qu’une colossale collecte de données, traitées par des algorithmes informatiques. Moovit repose sur la collecte de plusieurs types de données : les « open data » (qui sont les données publiques comme les cartes des villes, les horaires et implantation des lignes de bus, métro, tramway …), les données « privées » comme la géolocalisation qui ne peuvent être obtenues qu’avec le consentement des utilisateurs-rices, mais qui se fait surtout à leur insu, et les données issues du « crowdsourcing » c’est-à-dire les commentaires des utilisateurs-rices qui permettent à l’application de « gagner en pertinence ».

Toutes ces données sont collectées par Moovit l’application, mais aussi par l’entreprise qui est derrière, qui en fait… à peu près ce qu’elle veut. Les utilisateurs-rices et les non utilisateurs-rices n’ont en effet aucun contrôle sur ces données. Bien sûr, Moovit ne met en avant que les côtés positifs, et au premier abord impossibles à critiquer, de son application : faciliter le choix de ses trajets, les rendre plus rapides, plus agréables… Mais rien n’empêche par exemple ces données d’être utilisées pour repérer des fraudeurs-euses, retracer les déplacements d’une personne pour une enquête de police, offrir des statistiques pour une étude de marché...

Moovit, comme de nombreuses applications qui se basent sur des données informatiques déjà existantes pour fonctionner, en produit de nouvelles, comme la géolocalisation ou les commentaires de ses utilisateurs-trices et participe à la fuite en avant du « big data » (l’ensemble des données numériques collectées) [1] et tous les dangers qu’il implique.

Car sous un « état d’urgence » qui n’est pas un « tournant sécuritaire » mais plutôt les prémisses d’un nouveau mode de gestion policier du monde, il y a clairement de quoi s’inquiéter sur les utilisations possibles, par les entreprises comme par l’État, de ce type de données.

Une application pour la métropole

Au-delà des applications évidentes de flicage et de contrôle social, qui sont déjà une réalité pour n’importe quel téléphone portable, il est aussi important de se poser quelques questions sur les aspects à priori positifs de cette application. Les arguments qui reviennent de la part de ses concepteurs-rices comme des services de transports locaux qui investissent dans cette application, c’est la possibilité de fluidifier le transport, de le rendre plus rapide, mais aussi de rendre la ville plus accessible à celles et ceux qui la visitent.

Au premier abord ça peut sembler anecdotique voire inutile de gagner quelques minutes sur un trajet ; c’est sans doute vrai si on se place du point de vue de l’individu, ou du déplacement exceptionnel. Mais la gestion des transports, l’aménagement du territoire sont des sujets réfléchis de manière plus globale par l’Etat, la plupart du temps en collaboration avec des grandes entreprises et cela dans le but de répondre à leurs besoins. C’est par exemple le cas pour la Ligne Grande Vitesse entre Paris et Rennes : 3,5 milliards d’euros qui ont été investis pour gagner 33 minutes de trajet. Et pour accueillir cette LGV, 125.000 m2 de bureaux, 1.400 logements, des commerces, des hôtels seront construits. De l’aveu même de ses concepteurs-rices, cet aménagement existe uniquement pour répondre aux aspirations des entreprises qui prendront place dans ces bureaux et pour stimuler le « développement économique ». Leur but avoué est clair : donner la possibilité aux cadres supérieurs de travailler à Paris tout en vivant à Rennes, ainsi qu’attirer des entreprises du tertiaire d’envergure internationationale, c’est-à-dire une majorité d’emplois de cadres.

Ce qui se joue là n’est donc pas une simple affaire de « gagner 30 minutes », mais bien une volonté politique qui s’inscrit dans un plan plus large de changer une ville, sa population et son activité.

Pourquoi n’en serait-il pas de même pour une application ? Est-ce que, parce que ses concepteurs-rices la présentent comme un simple outil pour faciliter le quotidien, nous devons les croire ? Parce que son utilisation se fait individuellement, pouvons-nous réellement choisir ce que nous en faisons ?

Derrière cette application, on aperçoit clairement les préoccupations gestionnaires ainsi que les objectifs politiques de l’Etat et, localement, des diverses municipalités : rendre ses habitants toujours plus mobiles et leur faire accepter comme « normal » le fait que leur travail ou leurs loisirs se trouvent à l’opposé de la ville par rapport à leur logement. Une mobilité spatiale qui n’est là que pour coller à la précarité de nos modes de vie et à la séparation de ses différents aspects. Une mobilité qui n’est pas une chance, mais avant tout une contrainte que l’on subit ainsi qu’une épée de damoclès pour qui n’aurait plus les moyen de se l’offrir, possibilité à laquelle la loi répond par la répression, qu’elle veux d’ailleurs renforcer par des lois contre la fraude

La deuxième préoccupation visible dans les discours est de rendre la ville plus accessible à celles et ceux qui la visitent : le directeur de Keolis Brest annonce ainsi que « c’est l’outil idéal en préparation des Grandes Fêtes Maritimes Brest 2016 qui accueillera de nombreux touristes et qui pourront avoir accès aux informations temps réel des transports de Brest métropole ».
On a encore ici affaire à une vision politique de la ville typique des nouvelles métropoles ou des candidates à la « métropolisation » : la ville se doit d’être accessible, ou plus précisément elle se doit d’être accessible à celles et ceux qui viennent dans un but précis, qui savent où illes vont et qui, évidemment, ont de l’argent à dépenser.

La ville doit aussi se doter d’une bonne image : pour Brest 2012, on inaugurait le tramway, pour Brest 2016 on aura Moovit et on inaugurera le téléphérique. La ville avance, elle « innove », mais derrière les innovations qui se présentent comme inoffensives, neutres, répondant juste à un besoin de faciliter notre quotidien, il y a des changements qui servent une volonté politique, une vision du monde, bien souvent imposée par des impératifs économiques et politiques qu’il est plus que nécessaire de remettre en cause...

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