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Oeillères solidaires

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Ce texte a été écrit en février, en réaction à un article sur la solidarité publié en janvier dans le n°2 du journal anarchiste francophone Kairos. Je leur ai proposé à la publication, et n’ayant pas de retour de leur part, je le publie avec un temps de retard par d’autres moyens.

J’ai bien conscience qu’il n’est pas anodin de publier un texte sur la solidarité en pleine vague de répression de mouvements sociaux et de milieux anarchistes. Mais je ne veux pas que l’émotion (ou l’urgence) empiète trop sur les idées que j’essaye de développer ici.

Puisque vous parlez de solidarité, je profite de l’occasion pour partager quelques réflexions que j’ai en tête depuis un moment, sur les contours et les conditions que je veux poser à mes gestes de solidarité. Et plus généralement sur comment j’envisage mes affinités.

Je trouve très belle la vision qui est présentée dans Kairos, et pertinent de souligner l’importance de l’offensive, sans minimiser le fait que ce ne sont pas les attaques à l’extérieur qui permettent de cantiner. C’est surtout la partie sur l’infime catégorie de personnes avec qui l’auteure veut exprimer sa solidarité qui à mon sens mériterait d’être complétée. Dans le texte, on parle de limiter sa solidarité aux personnes qui adoptent un certain type de comportement face à la justice, et de ne pas idéaliser les détenu.es. Très bien, j’ai envie d’ajouter que visiblement, il ne semble pas très malin d’idéaliser les anarchistes non plus, et pour moi incomplet de se préoccuper uniquement de leur comportement face aux keufs et à l’enfermement.

Ma réflexion part notamment du constat que de nombreuses personnes dites "compagnonnes" se retrouvent impliquées dans des histoires d’agressions ou de viol, et qu’encore plus nombreuses sont celles qui ne veulent pas prendre position sur ces thématiques.

Je me pose donc la question suivante : est-ce que se définir anarchiste se limite à une méthode de conflictualité, ou bien à se retrouver dans un ensemble de valeurs qui ne nous sont pas imposées mais que dans la mesure du possible nous choisissons, et qui a priori impactent chaque aspect de nos vies, et nos façons de nous comporter les un.es envers les autres ?

J’imagine que la plupart se retrouveront dans la deuxième hypothèse. Mais j’ai l’impression qu’on n’entend pas forcément la même chose par "se comporter les un.es envers les autres". Je trouve qu’il y a une hypocrisie de ouf à ne pas parler des dynamiques de merde dans certains milieux (et qu’on ne me dise pas que le milieu ça n’existe pas, quand bien même ça n’est pas une dynamique que l’on veuille encourager), et que les peu d’exemples qui sont débattus et exemplifiés ne concernent quasiment que le refus de la spécialisation ou du leadership, toujours donc dans des visées organisatrices. Qu’on ne parle pas, ou si peu, dans la perspective de rendre concrètes nos valeurs anarchistes à tous les aspects de notre quotidien, de comment on se comporte les unes avec les autres, quand on fait autre chose que de la « guerre sociale » ou de la « guérilla urbaine ». Quand on est pas en train de penser lutte, organisation, propagande, action, etc. Bref, quand on fait toutes ces petites choses qui paraissent peu dignes d’intérêt pour l’expression de nos révoltes.

Je pense que tant qu’on continuera à ne pas prôner le fait de parler en terme de "personnel" parce que ça ne sonne pas assez véner, que ça n’est pas attirant pour les adhérents potentiel à l’insurrection (voire que c’est un repoussoir pour des complicités éventuelles) ou juste parce qu’on ne sait pas le faire, ben on continuera à soutenir des gens qui ne craignent pas les années de prison mais qui n’ont jamais voulu entendre parler de consentement. Et ça ne me va pas. Par "personnel", j’entends parler de nos galères pour construire des relations épurées de tout ce qu’on trouve dégueulasse dans ce monde, pour incarner au mieux les individu.es que nous avons envie d’être, pour prendre en compte les petits gestes du quotidien qui nous font reproduire les normes desquelles nous prétendons vouloir nous échapper, en les détruisant.

Je ne cherche pas à reproduire un système judiciaire divisant le monde en deux catégories d’innocent.es ou de coupables. Il ne s’agit pas de distribuer à tout va les étiquettes d’agresseurs à des personnes qui les garderaient à vie. Je veux ma pensée plus subtile, en cherchant à pointer du doigt la non remise en question des logiques de pouvoir qui nous animent. Pas tant les actes finalement, que les réactions qui les entourent. Je pense qu’on a tous et toutes (dans une moindre mesure sans doute) commis des agressions sur nos proches. Ce qui fait la différence pour moi c’est quel travail on entame ensuite pour en commettre le moins possible. Pour ne pas se voiler la face quant aux agissements des autres.

Je ne veux pas non plus lancer une campagne de flagellation généralisée, et critiquer la solidarité en soi. Mais je ne me sens pas solidaire simplement parce qu’il y a répression, pour faire un bloc face au contrôle de l’état. Bien que je puisse comprendre cette position, elle ne laisse pas de place pour individualiser les personnes qui subissent la répression, et tout comme je ne veux pas faire de catégorie « opprimés » je ne veux pas faire de catégories « réprimés ». Évidemment, quand je vois des actes de rupture avec la soumission, et que des personnes subissent la réponse de l’état pour ces actes, j’ai envie de les soutenir. De leur dire qu’elles m’ont fait rêver, que je salue leur courage, leur audace, leur détermination. D’autant plus quand des mots sont posés sur des attaques, et qu’ils les rendent plus explicites. J’y vois un intérêt, puisque ça me permet de savoir à quel point je partage ou non certaines des valeurs des personnes en question. Je peux comprendre qu’il soit reproché à certain.es de déballer leur vie sur des communiqués, d’exprimer des ressentis plutôt que de la propagande, (si tant est qu’il soit malin d’opposer les deux), mais au moins ça donne une idée sur ce que sont les personnes, au delà du fait qu’elles se révoltent. Parfois ça m’irrite parce que j’y vois trop de postures, parfois ça me fait me sentir plus proche des auteur.es. Et quand je vois les merdes commises par certaines personnes, je me dis que j’ai plutôt envie d’en savoir plus sur les personnes qui subissent la répression, et avec qui je serai susceptible de me solidariser.

Que les choses soient claires, je ne prône pas du tout l’action centrée uniquement sur le relationnel et l’introspection. Je vois aussi des moyens d’agir qui ne sont pas le dialogue, la médiation, la prise en charge collective de nos merdes, etc. Moi aussi, je veux me méfier des réflexes communautaires et de l’idée qu’on pourrait créer des espaces libérés de toutes formes d’oppression. Je suis pour l’attaque violente de l’autorité sous toutes ses formes, et pour exprimer mon soutien à celles et ceux, enfermé.es, qui en ont besoin, en faisant des gâteaux maisons ou en attaquant. Pour envoyer de la chaleur aux personnes qui m’inspirent. Mais je n’ai plus envie de me fourvoyer en pensant que quiconque se défini comme anarchiste et prône l’attaque est une personne géniale à côtoyer dans la vie aussi. Je ne laisserai pas la pratique offensive anarchiste aux mains de quelques connards (ou connasses !) imbus d’eux même, qui mettent tout en jeu, sauf leurs égos.

Parce que l’égo, si c’est pour moi un rempart indispensable contre les logiques qui voudraient nous soumettre, est aussi quelque chose qu’il faut savoir attaquer à des moments, lorsqu’il devient le moteur d’un refus de se remettre en question et d’évoluer. Comme tout le reste, il est construit et malléable. Et si j’ai envie de le brandir comme un étendard à des moments, je sais qu’il m’empêche aussi d’être accessible à la critique.

Je me souviens qu’à la phrase de Cospito qui faisait tiquer des potes « La qualité de la vie d’un anarchiste est directement proportionnelle au dommage réel que celui-ci inflige au système mortifère qui l’opprime. », j’avais envie de voir, un peu hypocritement, parce que j’aime bien ce que dégage Cospito, en dépit de la méfiance que je devrais probablement avoir, tout ce qu’on pouvait mettre derrière le terme "dommages réels". Destruction de normes, destruction de nos constructions genrées, autoritaires, destruction de nos réflexes de peur et de soumission, etc. et pas uniquement dégâts matériels. Mais tristement je me trouve peu d’exemple chez les anarchistes pour étayer mon propos.

J’ai un problème évident à l’idée de parler de "la valeur de la vie d’un anarchiste" telle qu’en parle cette phrase. J’aborderai plus le problème sous l’angle de la cohérence, de ce que moi, j’entends par anarchiste individualiste, et qui me semble être de l’ordre de l’idée communément admise : "volonté de destruction de tout rapport de domination" ; et "on est les propres acteurs de notre soumission". Donc... On essaye de changer (aussi) nos façons de se rapporter au monde ? On apprend à ne plus baisser les yeux face aux expressions de l’autorité ET à ne pas nous même en être une expression ? On pourra me rétorquer que l’on ne cesse jamais vraiment d’être l’autorité de quelqu’un.e d’autre. Certes, je suis plutôt d’accord. Mais on ne dansera (probablement) jamais sur les ruines de ce monde non plus, et ça n’empêche pas de réduire en miette des bâtiments. Il y a des formes d’autorités/de pouvoir inhérentes à toute relation interpersonnelle, et il y a le fait de reproduire des dominations systémiques et de refuser de se questionner.

Y a un truc qui me gène sur lequel j’ai du mal à mettre des mots. On ne veut rien repousser à plus tard, la révolte c’est ici et maintenant, totale et sans compromis. On parle de la société et de ses normes, des institutions qui annihilent l’individu.e, on parle de détruire et de se révolter. Mais on ne parle pas de comment on se relationne les un.es aux autres. De comment les valeurs de cette société qui sont des prisons de hautes sécurités se traduisent dans nos vies. Pourquoi ? J’ai pas non plus envie de laisser l’analyse des rapports de dominations interpersonnelles aux mains des matérialistes de tout poils ; parce que je ne me retrouverais pas dans leur grille de lecture bien trop figée, transformant les dominations structurelles en lois mathématiques et les rapports sociaux en équations, mais dans laquelle il y a quand même des choses qui ne sont pas complètement vide de sens. Le fait qu’on soit construit socialement par exemple, que l’on ne choisisse pas notre point de départ dans les hiérarchies sociales, et que ça ait un impact sur nos actes par la suite.

Je n’ai donc pas de réponse toute faite en ce qui concerne la solidarité. J’ai la sensation que c’est un discours plus général qui fait défaut. Une envie de parler de choses qui sont peut être moins flamboyantes, mais qui transforment tout autant nos vies. Et quoi qu’il en soit, me déclarer solidaire « des anarchistes » ou plus largement encore « des révoltés » sans savoir ce qui se cache derrière cette affirmation, me laisse un goût amer dans la bouche. J’aimerais que les expressions de solidarité puissent aussi être conditionnées aux personnes qui se mettent en jeu dans tous les aspect de leur vies, qui questionnent, agissent, et acceptent la remise en question. Soit qu’elles le laissent transparaître dans leur communiqués, soit dans leurs lettres publiques, soit que l’on puisse se faire une idée par d’autres biais. Il ne s’agit pas d’encourager des postures qui seraient adoptées dans le but d’obtenir de la solidarité mais bien de s’attaquer honnêtement à tous les aspects d’une guerre menée contre chaque forme sous laquelle la domination s’exerce.

On parle de conflictualiser nos rapports au monde qui nous oppresse, moi j’ai envie de conflictualiser aussi nos rapports dans l’intime qui nous oppresse.

Ps : Je ne peux pas m’empêcher de réagir au texte Horror Vacui, bien que je sache que ça n’en vaut franchement pas la peine, vu le mépris que m’inspirent leurs réflexions. Que des auto-proclamés anarchistes - individualistes regrettent de se faire priver de leur masculinité et de leur féminité, sur fond de discours réactionnaire digne de la manif pour tous, ça prêterait à un sourire compatissant face à tant de bêtise, si ça n’était pas aussi pathétique. Le pire étant qu’ils et elles prétendent poser une question similaire à la mienne : « Comment quelqu’un qui se considère anarchiste peut-il trouver des camarades parmi des personnes qui reproduisent le pouvoir, l’autorité et la soumission ? », alors qu’ils illustrent clairement leur incapacité à admettre qu’ils sont ces personnes qu’ils prétendent décrier ; et à voir les endroits où se reproduisent le pouvoir, l’autorité et la soumission, au-delà de mauvais clichés sur les luttes partielles et la victimisation. Belle tentative, compas, mais les arguments avancés sont si affligeants de nullité qu’il n’y a même pas lieu d’ouvrir le débat. Étouffez-vous avec votre médiocrité et vos certitudes.

article publié sur indymedia nantes

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