Ce collectif s’est monté en octobre 2015 suite à la promesse non tenue de la mairie de reconstruire une salle de quartier, en lieu et place de la « salle de l’Avenir » détruite en 2010. La mairie ayant décidé de céder le terrain à un promoteur immobilier privé, le collectif a donc occupé le terrain pour empêcher le projet.
Depuis plus de deux ans, les personnes impliquées dans le collectif s’étaient mises d’accord pour faire de ce terrain un lieu d’activités politiques et culturelles, géré collectivement de façon horizontale, et ouvert sur le quartier.
L’Avenir, c’est aujourd’hui le seul lieu occupé à Brest permettant des activités et de l’organisation politique, situé dans un quartier du centre-ville, populaire et vachement vivant, où s’entremêlent des personnes d’horizons différents autour d’activités culturelles, politiques, festives...
Nous avons rejoint ce collectif pour des raisons variées, certain.e.s dès le début, d’autres plus récemment, mais ce qui nous y rassemblait c’était la volonté de nous organiser, nous-mêmes, dans une structure non-institutionelle et dans ce cas précis, dans un rapport de force avec la mairie.
Il ne s’agissait pas pour nous de lutter uniquement contre une institution, car, et c’est un point qui nous rassemble, on veut lutter contre tout ce qui nous prive de notre pouvoir sur nos vies : dominations sous toutes leurs formes, aliénations, exploitations... Donc contre tout rapport autoritaire et/ou hiérarchique même informel ; ainsi que contre toute assignation à des rôles. En bref contre tout ce qui nous opprime, réprime, déprime.
Cela implique, pour nous, l’horizontalité dans les prises de décisions, comme base commune et comme objectif vers lequel tendre.
Mais, ces derniers mois de nombreux conflits et prises de pouvoir se sont amplifiés dans l’organisation du collectif. Plusieurs tentatives de discussions et autres « réunions de crise » ont été proposées afin de résoudre les différents conflits.
Si nous avons quitté ce collectif c’est que toutes ces tentatives ont été vaines. Entre la volonté de certaines personnes de préserver leur position de pouvoir, et la pseudo-neutralité d’autres privilégiant la « grande aventure humaine » et la paix sociale, à une réelle gestion de conflit et de remise en question des différents comportements problématiques, la situation est arrivée à un point de non-retour, devenue invivable pour nous.
Si nous écrivons ce texte, c’est parce que nous sommes parti.e.s véner.e.s, dégoûté.e.s, frustré.e.s, affligé.e.s, blasé.e.s et qu’à aucun moment nous avons pu exprimer clairement et posément ce qui ne nous convenait pas. De plus, nous avons l’impression que cette situation n’est pas un fait isolé mais au contraire, qu’elle se reproduit souvent dans des collectifs dits « de lutte ». Nous avions donc envie d’expliquer ce qu’il s’est passé dans ce collectif, afin que ce ne soit pas gardé sous silence, comme si rien ne s’y était jamais passé, laissant ainsi aux autoritaires et neutralitaires le champ libre.
Au fur et à mesure de notre implication dans le lieu et dans une bonne partie de ses projets, comme la construction d’un hangar, d’un four à pain, l’organisation de soirées, permanences, ramener du matos, accueillir les gens qui passent, etc, et de la participation aux réus, on s’est rendu.e.s compte de différents problèmes de fonctionnement interne au collectif. Nous avons aussi constaté que dans l’urgence des choses à faire et de la lutte contre la mairie il n’y avait finalement jamais eu de réelles bases organisationnelles discutées et posées.Ce manque de bases communes claires a en partie créé des positions privilégiées au sein du collectif, qui viennent contredire fondamentalement la volonté d’horizontalité supposée de celui-ci.
Ces positions de privilège sont d’ailleurs occupées par, une fois de plus, et sans grande surprise, des mecs cis, de plus de quarante ans, ayant une position sociale reconnue dans le quartier qui leur confère une certaine légitimité/autorité et donc un certain pouvoir dans leurs dires, leurs faires, leurs décisions individuelles.
Ces positions sont bien confortables pour ces personnes, mais surtout elles existent et perdurent car elles sont confortées et nourries par les personnes qui les reconnaissent et/ou ne prennent pas le temps de les questionner ; malgré les nombreux exemples flagrants de ces prises de pouvoir comme :
– La privatisation d’espace : une personne du collectif s’est approprié une parcelle du terrain censée être occupée « collectivement », a décidé d’y poser un portail et refuse de donner les clés au collectif.
– La rétention d’informations concernant les projets de la mairie vis-à-vis du terrain occupé.
– Création et maintien de pages facebook donnant volontairement l’impression qu’elles représentent le collectif, malgré les demandes collectives répétées de suppression. Ces pages dénigrent certaines pratiques, idées, revendications du collectif ou de certain.es de ses membres, ou encore font de la pub pour des partis politiques qui n’ont rien à foutre dans ce lieu ne se revendiquant d’aucun parti.
– Envoi à la presse d’un article au nom du collectif qui n’avait pas été validé collectivement. Article contenant de plus, des prises de positions politiques loin d’être consensuelles au sein du lieu.
– Accaparement du temps de parole dans des réunions par des personnes qu’on voit peu au quotidien mais qui existent surtout en temps que personnes importantes dans le quartier.
– Une « sous-liste mail » créée par et pour des personnes se reconnaissant mutuellement comme « chefs » du collectif, échangeant des informations dans leur cercle fermé et ne relayant pas les infos au reste des membres qui sont apparemment moins importants.
(La liste pourrait continuer longtemps mais on essaye de faire bref...) Quand on met de l’énergie dans un collectif censément horizontal, il paraît normal de pointer tous ces problèmes et de vouloir y remédier, mais NON ! Bien au contraire ! Quand tu oses ouvrir ta gueule pour dénoncer des pratiques malsaines, en retour tu reçois menaces, intimidations, paternalisme, coups de pression, chantage, humiliation en réunion (notamment par des gueulantes qui n’autorisent aucune réponse). Encore une fois la colère est légitime uniquement pour les personnes qui ont du pouvoir, et leurs mails hargneux sont qualifiés de drôles parce que « ça fait partie du personnage ».
La seule issue qu’il te reste face à ce rapport de force c’est tout simplement de fermer ta gueule, d’obéir, en clair de l’auto-censurer, de mettre de côté tes idées et d’accepter d’être juste une main d’œuvre corvéable au service des « chefs ».
Cette impasse ne relève pas de la simple volonté de ces derniers mais repose aussi sur tous les autres membres, spectateurs/trices, soi-disant « neutres », se rangeant donc du côté de ceux qui n’ont aucun scrupule à user de leurs pouvoirs et de leur agressivité sur d’autres personnes, en apportant par leur silence approbateur une caution aux accusations employées contre nous : « vous manquez d’ouverture sur le quartier », « vous êtes pour l’entre-soi », « vous êtes trop radical.es », « vous mélangez les luttes ».
Coller des affiches contre le sexisme, la transphobie, la grossophobie (suite à des comportements relous/injurieux en soirée notamment de la part de membres du collectif), proposer de la bouffe végan (histoire qu’un maximum de gens de puissent manger, dingue, non ?), permettre à d’autres collectifs de luttes de faire leurs réunions sur le site, et relayer les informations de l’Avenir sur un site de médias libres (plutôt que sur Facebook...), toutes ces décisions collectives participeraient soi-disant à exclure les gens du quartier !
Donc, sous prétexte d’être ouvert sur le quartier, il faudrait tout dépolitiser et donc renoncer à lutter contre la domination sous toutes ses formes. Mais pour nous, cela est un non-sens, tout est politique. Se dire apolitique, c’est tout simplement se ranger derrière l’ordre des choses, participer à maintenir les normes existantes et refuser de détruire ces systèmes de merde !
La radicalité dont nous nous revendiquons (et dont certain.e.s voudraient faire une injure) c’est, au contraire, traiter les problèmes et questionner tous les aspects des différentes formes d’oppression, et pas simplement en gérer les conséquences à coup de lois et d’alternatives citoyennes bidons.
Certes à l’échelle d’un quartier, dans un collectif non-affinitaire, on ne peut pas tou.te.s être sur les mêmes positions politiques. Mais nous pensons aussi qu’il est nécessaire de poser des bases claires et communes, tant au niveau des objectifs que du fonctionnement pour pouvoir évoluer avec un minimum de confiance dans un groupe.
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Il nous paraît contradictoire et hypocrite de se revendiquer horizontal pour faire joli alors que le collectif fonctionne hiérarchiquement. De se dire un jour politique face à la gentrification de la ville mais le lendemain de lisser son image pour « plaire au plus grand nombre dans le quartier » (et ne pas se mettre trop la mairie à dos ?).
Comme on l’a déjà dit plus haut, le véritable problème ce n’est pas les conflits en soi mais l’impossibilité de les assumer, de s’y confronter et d’essayer d’y apporter une réponse collective.Les seules réponses proposées lors des « réunions de crise » étaient soit « d’en reparler plus tard », soit de faire toujours plus d’activités ensemble, main dans la main, afin de « vivre ensemble cette grande aventure humaine », invisibilisant ainsi les ressentis et violences subies, les reléguant au stade de simples problèmes inter-personnels et/ou de communication.
Tout ça, ça fout la rage, ça use nerveusement, physiquement. Lors de discussions hors réunion tu trouves du soutien et lors des réunions c’est le grand silence, la gêne. Une espèce de lâcheté collective, même (et surtout) de la part de celleux que tu croyais être des allié.es. Tu finis par te demander à quel point la radicalité affichée relève plus de la posture ou de la pensée politique.
Parce qu’au final, les enjeux politiques pesaient moins lourds dans la balance que les intérêts perso/individuels (se faire sa place dans le tissu social du quartier ; s’assurer une base matériel solide pour sa propagande (artistique et politique) ou ses activités/loisirs ; se faire son réseautage en gardant une entente cordiale avec les personnes, surtout si elles sont porteuses d’un certain intérêt stratégique dans la reconnaissance sociale ; entretenir des relations de « bon voisinage » qui sont peut être gangrenées de toute part mais au moins on fait semblant de bien vivre tou.te.s ensemble, etc).
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Face à tant de problèmes nous avons insisté pour appeler à une réunion exceptionnelle , dédiée aux gens de l’orga, pour commencer à s’atteler sérieusement à régler les conflits et autres contradictions intenables. Bref, on espérait vraiment que cette réunion fût la dernière et effectivement elle l’a été pour nous.
Bah ouais on espérait naïvement que ce soit la dernière réunion de crise dont on ait besoin, que les choses allaient enfin se mettre à bouger. Mais finalement, ça n’a été qu’un long moment d’hypocrisie, de négation du conflit, de faire comme si (entre autres) les tensions entre les personnes se résumaient à la mauvaise répartition des corvées, style vider les toilettes sèches... pathétique.
Nous sommes parti.e.s ensemble, véner.e.s, on a compris que c’était juste pas possible de discuter du fond des problèmes avec des gens qui ne reconnaissent pas l’existence même de ces problèmes.
On est parti.e.s ensemble parce qu’on s’était dit que si une personne craquait face à l’ampleur du déni collectif et quittait la réunion, cette personne ne partirait pas seule. Parce que pour nous, tant pour des raisons politiques que humaines, y a pas moyen de laisser quelqu’un.e seul.e dans cette situation.
Suite à cette réunion, une seule personne est venue s’intéresser aux raisons de notre départ. Les seuls autre retours que nous en avons eu sont que « nous avons été violent.e.s » parce qu’on a hurlé un gros « CONNARDS ! » à toute l’assemblée en partant et qu’un.e de nous a filé un coup de pied dans une palette après être sorti.e de la salle.
Donc, « notre réaction était violente », mais de quelle violence on parle en fait ? C’est vrai que tout ce qu’on a énuméré plus haut c’était pas violent... Paternalisme, contrainte au silence, humiliations, intimidations, harcèlement, tout ça peut se faire avec le sourire et des mots beaucoup plus fins et subtils que ceux que nous avons pu employer, soit, mais ce n’est pas parce que la violence est tacite qu’elle est inexistante.
En laissant cette violence insidieuse, non-assumée et donc plus « acceptable », s’installer, on attend juste que les personnes craquent. En fait illes nous ont « eu à l’usure ». C’est sûr c’est plus facile de se dire que nous sommes parti.e.s volontairement, de notre plein gré, plutôt que d’assumer qu’au moins pour certains, beaucoup a été fait pour que nous nous cassions.
Finalement quand tu pointes les problèmes, c’est toi qui devient problématique.
D’ailleurs, depuis tout semble être rentré dans l’ordre pour elleux. N’allons quand même pas imaginer que le départ d’un tiers du collectif aller enrayer la belle et grande aventure humaine qui rayonne à L’Avenir !
Petit exemple marrant (ou pas), la palme d’or de la plus belle contradiction : il avait été proposé de réfléchir à l’écriture d’une charte afin de poser enfin des bases claires en terme de fonctionnement interne mais aussi du rapport du collectif avec « l’extérieur » (médias, comportements relous, etc).
Cette charte visait donc à poser des limites aux prises de pouvoir et autres comportements autoritaires ou malveillants au sein du collectif et donc de réfléchir à une application concrète de cette charte.
Depuis notre départ, nous avons appris que la commission à la rédaction de la charte était composée de trois personnes, dont 2 étant la source de beaucoup des problèmes et de bons nombre de conflits, ces personnes autoritaires et agressives étant dans une volonté de normalisation du lieu, ça promet une belle charte !
Maintenant que les radicales et radicaux sont éradiqué.e.s, le collectif a le champ libre vers un avenir citoyen, soc-dem, avec normes d’hygiène et de sécurité, que du plaisir !
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Suite à tout ça, au delà d’avoir définitivement quitter ce collectif, on est pas mal à avoir décidé de ne plus faire d’événements publics à l’Avenir avec les autres collectifs dont on peut faire partie. On a ni envie de donner une légitimité politique à cet endroit et aux gens qui s’impliquent dedans, ni envie de participer à faire vivre ce lieu d’une quelconque façon (et donc de participer à faire sa pub).
On a écrit ce texte pour briser le silence autour de ce qui s’est passé/se passe dans ce collectif, notamment pour les gens qui fréquentent ce lieu. Au delà de ça, on a l’intention d’écrire un truc plus long dans lequel on souhaiterait analyser les processus à l’œuvre dans notre expérience au sein de l’Avenir.
Le but de tout ça c’est pas tant de donner des leçons comme si nous étions irréprochables et exempt.e.s de toute critique, mais plutôt de questionner des situations en espérant que ça puisse être utile pour des expériences futures (aussi bien les nôtres, que celles d’autres personnes qui s’impliquent et s’impliqueront, ailleurs, dans des collectifs, occupations, mouvements de lutte...).
Ni colombes, ni pigeons ;
ni autruches, ni dindons !
Des gens.
Le texte complet en PDF :
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