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Tout brûle déjà. La culture, la jeunesse et les flammes

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Lundi 16 octobre 2017, la sinistre Françoise Nyssen venait célébrer LA culture stéphanoise : inauguration officielle de la nouvelle Comédie… et visite de la Maison de la Culture - Nouveau Théâtre de Beaulieu (MJC - NTB). On se souvient que celle-ci avait été incendiée le 17 juin de la même année à une heure du matin. Comme d’habitude dans ce genre de situations, les condamnations sont fermes, le front républicain s’oppose à la « tragédie ». Le débat sur l’avenir du lieu, initié bien avant l’incendie, fait rage. Par contre, très peu de discussions sur le fond. Quelle est la responsabilité des institutions dans une telle situation ? Comment une structure censée représenter la diversité des pratiques sociales peut-elle être prise pour cible ? Que peut-on comprendre de cet acte de destruction ?

Pourquoi brûle-t-on une MJC ?

Née en 1968, la MJC devenue NTB représente les évolutions des structures d’éducation populaire (centres sociaux, amicales laïques, MJC et autres fédérations) : leur professionnalisation, leurs contradictions et leurs rapports complexes aux pouvoirs publics. Équipements dédiés aux jeunes, réunissant professionnel-les de l’animation et militant-es de l’éducation populaire, leurs actions sont diverses et dépendent de multiples facteurs (mobilisation des jeunes, initiatives individuelles, directives municipales...). Difficile donc d’analyser en profondeur les actions au-delà des intentions pédagogiques et politiques affichées. Ce n’est donc pas l’objet de cet article. En tous cas, localement ce qui intéresse la mairie de Saint-Étienne, c’est le festival des Arts Burlesques organisé par le NTB. 13 000 spectateurs en février 2017, des intervenant-es célèbres, une renommée nationale. D’où dès 2016, la ferme volonté municipale de bien séparer les actions liées au festival et les activités d’éducation populaire de la MJC.
Contexte tendu donc entre le lieu et ses financeurs, sans parler des difficultés récentes du réseau des MJC et de leur fédération disparue avec pertes et fracas [1].

Loin de ces considérations, la presse, suivie de près par les élu-es et cravaté-es (combo fatal pour la fabrique de l’opinion publique...) identifie l’incendie comme un acte de délinquance et « la conséquence de plusieurs affaires judiciaires menées contre différents trafics (téléphone, armes, drogues, cigarettes…) dans le quartier » [2]. L’enquête est en cours. Rien ne transparaît officiellement sur d’éventuels conflits entre une partie des habitant-es et le lieu. On sait pourtant que c’est souvent le cas, tant les associations doivent se plier aux exigences municipales via des appels à projets. Ceux-là mêmes qui proposent les sujets à la mode font de la rédaction de demandes de subventions un métier à part entière, avec ses mots et ses codes. La MJC avait ainsi fermé en 2001 suite « à une prise de pouvoir de jeunes sur l’équipe en place » [3]. Mystérieuse explication. Un peu comme si la prise de pouvoir du peuple posait problème à la démocratie...

L’incendie de la MJC n’est d’ailleurs pas un fait isolé, il fait suite à plusieurs départs de feu sur des écoles du quartier, ainsi que sur la Maison des Projets. À Montreynaud aussi, il y a des étincelles. Des caves et une école sont récemment ciblées. Si une MJC est attaquée, ne serait-ce pas parce qu’elle représente l’institution au même titre que des écoles ou des bibliothèques, et non pas un lieu de ressources et d’accompagnement des initiatives, au moins pour une partie de la population ? Les lieux d’éducation populaire sont pleins de bonnes intentions et de personnes engagées. Mais force est de constater que les actions des pouvoirs publics et des associations qui en sont proches sont aujourd’hui plus à destination des classes moyennes que des classes populaires.

"“Vraiment ce qui nous repousse, au-delà du tarif, c’est le public que ça touche. C’est quand même chelou de voir les mêmes te-té dans une maison pour tous”. Virus, dans Asocial Club : « Ce soir, je brûlerai… » (Toute entrée est définitive, 2014)."

Les rapports conflictuels entre équipements de quartiers et certains groupes ne sont pas nouveaux. Déjà dans les années 60, la stabilité des MJC « tenait à la personnalité d’un directeur, d’un animateur, parfois aussi d’un groupe de jeunes. Un départ, un incident suffisait à remettre en cause un système fragile » [4] tant les objectifs des structures pouvaient être contradictoires entre eux.

Sauver la culture ! Et la jeunesse ?

Le feu met tout le monde d’accord. Au moins dans un premier temps. Les médias relaient l’émotion collective et l’embarras de nos dirigeant-es. L’incendie est un acte barbare, brutal, imbécile. En parlant de « violence » on sort les faits de leur contexte (local, social, politique) et on rend l’action inintelligible. Les auteurs de l’incendie ont un problème. Pour l’opinion publique, ils sont le problème. La deuxième réaction, moins unanime puisqu’elle demande des moyens, s’inscrit dans la suite logique : il faut reconstruire. Seule la culture peut sauver la jeunesse populaire. Dans la lignée des actions culturelles contre leur « radicalisation » et autres projets de promotion des « valeurs de la république ». Grandes ambitions pour petits budgets.

"“Comme si on pouvait effacer les traces de la violence par la reconstruction. Comme si on pouvait ne rien avoir vu derrière les flammes, ne rien avoir entendu du bruit des vitres cassées.” Denis Merklen, Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques ?, 2013"

Ce qui compte par-dessus tout c’est de sauver la Culture. Et les réactions à l’incendie illustrent les intérêts que représente la culture pour les pouvoirs publics. La délinquance est prise pour cible (« ceux qui ont fait ça ne veulent pas comme nous du lien social ») [5], quand ce n’est pas la jeunesse dans son ensemble, et mise en opposition à d’autres tranches de la population (« ils pénalisent d’abord les familles et les enfants qui ne demandent qu’à vivre paisiblement ») [6]. La ministre parle même d’un « assassinat de la culture », et l’ancien maire Thiollière souhaite « que ce ne soit pas qu’une maison des jeunes » et que LA culture soit mise au centre des actions. C’est pourtant bien le tournant qu’ont pris les MJC et les autres structures d’éducation populaire depuis les années 1980. Faute de public et donc d’initiatives ascendantes, on multiplie les actions culturelles dans le cadre des appels à projets liés aux « quartiers prioritaires » ou à des « publics cibles ». Mais cette focalisation sur les activités culturelles « accompagnait aussi l’éviction ou plutôt l’auto-exclusion des jeunes d’origine populaire qui acceptaient mal le cadre des activités […] d’autant plus que les équipements alors construits comportaient souvent une annexe culturelle : salle polyvalente, plus rarement théâtre. » [7]

Sauver la culture ! Quelle culture ?

La convocation de LA culture pose une autre question : de quelle culture parle-t-on ? Des cultures ouvrières, de culture de tomates, ou d’une culture artistique dominante à inculquer à tou-tes ? Même Jack Lang a exprimé son soutien à la MJC-NTB. Il défend « un vrai idéal de culture » par l’association de deux éléments « l’exigence artistique et la culture populaire ». Deux qualificatifs qu’il considère donc éloignés ? Thiollière exprime lui clairement les intérêts municipaux à promouvoir la culture : « redonner de la vie à ce théâtre c’est aussi redonner de la vie à ce quartier, et bien au-delà à la ville de Saint-Étienne […] bref, le théâtre de Beaulieu c’est le cœur de la rénovation du quartier ». Urbanisme et culture s’associent donc pour transformer les quartiers plus que pour offrir des ressources aux pratiques sociales. On comprend ainsi aisément les incitations de la mairie à rapprocher associations d’éducation populaire et design. Durant la biennale du design 2017, de grands panneaux jaunes ont ainsi été conçus avec l’aide des habitants du quartier, puis installés à côté du Théâtre. De grands panneaux sur lesquels on peut voir des dessins porteurs de messages républicains pacifistes, devant le bâtiment aujourd’hui calciné. Fumée : 1. Design : 0.

Qu’est ce qu’il reste à sauver de l’éducation populaire ?

Après avoir cherché à contrôler la jeunesse par la culture, les financeurs se sont rendu compte de la dangerosité de donner quelques moyens à des équipes militantes. Un article des années 1970 dont nous n’avons pu identifier l’origine décrivait : « l’accueil des mouvements sociaux (mouvements antiracistes, antinucléaires, féministes) classe définitivement ces lieux dans la catégorie gauchiste et affole certains parents conservateurs qui les décrivent comme “d’authentiques foyers bolchéviques” ». Les équipes sont donc progressivement contrôlées par la professionnalisation, la formation, la baisse des subventions et la mise en concurrence des associations. La dépolitisation générale et le changement de discours modifient en profondeur les intentions éducatives. Finis donc les concerts de rock en plein air, les débats politiques et le soutien aux mouvements sociaux. On parle maintenant de la « laïcité », de la « participation » et du « vivre ensemble », on met en avant les valeurs républicaines et l’intégration. D’autant plus si l’on souhaite prétendre à des financements publics. Mélange subtil entre incitation et acceptation de la langue de bois et des concepts creux. La logique de projets permet aux financeurs de juger l’utilité d’une action a priori et de réduire la liberté d’action des structures.
On peut s’indigner de l’incendie d’un équipement de quartier, souhaiter sa reconstruction mais il serait temps de s’interroger sur la dérive citoyenniste de l’éducation populaire, sur le manque de moyens et de liberté accordés aux associations. Questionner les mécanismes qui créent les inégalités de richesse et de la précarité à la pelle dans certains quartiers n’est peut-être pas suffisant et nécessiterait de remettre en cause de façon plus appuyée l’organisation sociale dans son ensemble.
En octobre dernier, les professionnel-les associatifs (centres sociaux, amicales laïques, MJC...) se réunissaient — pour une fois — à Sainté, contre la suppression des contrats aidés, malgré la précarité que ceux-ci supposent. Il était un temps où nous luttions pour défendre des valeurs et gagner des droits, nous luttons maintenant pour sauver des miettes…

article publié sur le Numéro Zéro

Notes

[1] La Fédération des MJC de Rhône-Alpes a été liquidée fin 2016. Seule une partie des postes supprimés a été conservée par les MJC locales, dans des conditions moins avantageuses pour les salarié-e-s.

[2] Le Progrès, 17 juin 2017

[3] Document de communication de la MJCNTB, 2017

[4] Laurent Besse, Les MJC. De l’été des blousons noirs à l’été des Minguettes, 2008

[5] Farid Bouabdellah, directeur de la MJCNTB, France Bleu Loire, 17 juin 2017

[6] Gaël Perdriau, Le Monde, 18 juin 2017

[7] Laurent Besse, op. cit.

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