Il n’est pas facile d’analyser une loi qui accumule pèle-mêle de mesures favorisant l’acquisition de foncier pour les jeux olympiques, modifiant des règles d’urbanisme, touchant aux logements sociaux… Attaquant tous azimut par des modifications dont l’impact est difficile à saisir. Sans surprise, on n’est pas dans le progrès social. Il s’agit de s’appliquer à comprendre une dimension de cette loi qui concerne les squats,en ayant conscience que bien d’autres aspects seraient à creuser [1].
Criminalisation du squat ?
C’est la question principale qui a été soulevée notamment par le DAL. La réponse est mitigée mais en gros « ça craint du boudin ». Il y a une claire volonté d’affichage de sévérité face à l’occupation sans droit ni titre. Le chapitre III bis s’intitule sans détour « Lutte contre l’occupation illicite de domiciles et de locaux à usage d’habitation. » Il modifie un article du code pénal (226-4) qui qualifie le délit de violation de domicile, en élargissant cette notion à « local à usage d’habitation ». Une désignation floue qui peut selon l’humeur de la justice désigner un local dont on "pourrait potentiellement" se servir comme d’une habitation, ou d’un local dont on se "sert effectivement" comme habitation…
Voici l’article tel qu’il est rédigé aujourd’hui [2] :
L’introduction dans le domicile d’autrui ou dans un local à usage d’habitation à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Le maintien dans le domicile d’autrui ou dans le local à usage d’habitation à la suite de l’introduction mentionnée au premier alinéa, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines.
Changement total ? Pas tout à fait, car dans la pratique, des poursuites pour violation de domicile, dans le cadre d’une ouverture d’un local vide de toute occupation, ne sont pas rares. C’est un tour de vice supplémentaire mais pas un changement profond. Ce qu’il va falloir observer c’est le comportement des parquets : est-ce que ça va donner lieu à une politique pénale ? Est-ce que les procureurs vont multiplier les poursuites pour violation de domicile ? Les peines sont assez importantes et, mêmes si les tribunaux « n’entrent pas en voie de condamnation », cela peut dissuader les personnes de s’impliquer dans ce genre d’aventure. Il reste toutefois des manières de se défendre. Notamment sur les « moyens » utilisés pour s’introduire dans le bâtiment : il faut que le tribunal atteste de l’emploi de « manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte », cela ouvre donc des possibilités de défense. De la même manière « l’imputabilité » (c’est à dire la possibilité de considérer une personne, du point de vue matériel et du point de vue moral, comme l’auteur d’une infraction) peut être difficile à prouver : s’il est constaté une « voie de fait » (une effraction de serrure par exemple) encore faut-il condamner la personne qui l’a fait [3] et donc attribuer précisément les faits à une personne.
Accélération de l’expulsion
Une autre modification plus sévère est celle de l’article 38 de « la loi instaurant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale », plus communément appelée loi DALO [4] qui stipulait la possibilité d’expulser sans jugement et immédiatement un squat (ça c’est du droit au logement !). C’est ce qui a permis à moult reprises à des équipages de police d’expulser manu militari des squats récemment ouverts malgré les preuves avancées par les occupant.es. Là aussi, il s’agit dans la version 2018 d’élargir la notion de domicile en y ajoutant « propriété » et « local à usage d’habitation ». Voici l’article dans la version actée par le sénat cet été :
En cas d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui ou dans un local à usage d’habitation à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte, le propriétaire ou le locataire du logement occupé peut demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux, après avoir déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile ou sa propriété et fait constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire.
La mise en demeure est assortie d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures. Elle est notifiée aux occupants et publiée sous forme d’affichage en mairie et sur les lieux. Le cas échéant, elle est notifiée au propriétaire ou au locataire.
Lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n’a pas été suivie d’effet dans le délai fixé, le préfet doit procéder sans délai à l’évacuation forcée du domicile ou du local à usage d’habitation, sauf opposition du propriétaire ou du locataire dans le délai fixé pour l’exécution de la mise en demeure.
En bref, si une personne porte plainte pour occupation de sa propriété (domicile ou potentielle habitation) elle peut obtenir une expulsion par la force publique après 24heures et ce sans aucun jugement. Bon ce n’est pas qu’on rêve de passer devant les tribunaux mais on voit ici s’évanouir une des façons d’obtenir des délais. Il va falloir barricader sévère.
Alors, c’est foutu ?
Ce n’est pas une loi qui va en finir avec la nécessité d’obtenir de l’espace, un toit, par tous les moyens possibles, mais il est clair que l’ambiance est à la répression. Qui peut présumer des ressources immenses de ceux et celles qui sont déterminées à agir par elles-mêmes ? Rien ne sert de se lamenter ou de crier au loup…
Reste que les mauvais coups ne sont pas finis, puisqu’un député LR du Vaucluse, Julien Aubert, a porté un projet de loi encore plus velu que celui-ci intitulé « défense du droit de propriété et créant un délit d’occupation sans droit ni titre d’un immeuble ». Peut-être que ça ne sera pas voté [5]. Peut-être que les député.es estimeront que la loi ELAN fait déjà le taf. Il est certain qu’un fort esprit de répression souffle et qu’on va vite s’enrhumer si on laisse faire. D’autant que certaines dispositions vont aider à faire passer la pilule. Parce que les élu.es ne sont pas bêtes et ilelles savent que la situation est intenable sans le logement en squats. Alors il y a la carotte… On en parle dans l’acte 2…
Notes
[1] Notamment concernant les règles d’urbanismes, le droit de recours contre des permis de construire/démolir/aménager est sérieusement écorné. En effet si le ou la requérant.e est présumé.e « excéder la défense de ses intérêts légitimes », l’entreprise de construction pourra faire une demande de dédommagement. Une mesure de rétorsion en direction des tentatives de recours juridiques contre des projets. Mais on trouve aussi dans cette loi une réduction de l’accessibilité des nouveaux logements construits qui ne sont plus tenus d’être adapté à un usage en fauteuil. Ou encore le durcissement de la pénalisation de « l’occupation de hall d’immeuble » qui peut être assortie de mesures de bannissement allant jusqu’à trois ans… Que du bonheur !!
[2] version du sénat consulté en août 2018, consultable en ligne.
[3] Bien souvent les tribunaux se torchent avec les « preuves » et avec leur lois, c’est une donnée de l’expérience qui ne souffre pas contestation. Mais bon une fois trainé là par les sbires en armes, on peut toujours essayer. Surtout il s’agit d’être prudent.e sur les éventuelles traces.
[4] cette disposition avait été présenté comme une victoire suite aux luttes menées par des sans-abris et leur soutien, notamment l’occupation des berges du canal St Martin.
[5] il semble que ce n’est pas promis au succès puisqu’il n’est pas de la majorité. Ça fait aussi un bail qui pousse à la roue pour faire passer sa loi depuis au moins comme on peut le voir dans cet article.
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