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Face à l’explosion des inégalités, à la précarisation de nos vies mises en compétition, lutter pour créer une force collective susceptible de révolutionner ce monde reste le meilleur moyen de résister à la déprime du fatalisme ambiant.
Pourtant deux approches nous traversent, entremêlées chez tout individu révolté.

Parmi toutes les constructions idéologiques imposées par les classes dominantes depuis des siècles, la notion de « races » reste l’une de celles qui font le plus de ravages. Si les races n’existent pas, le racisme, lui, est pour des millions de gens une réalité quotidienne. Une réalité contre laquelle il faut tous et toutes lutter. Mais une réalité dont l’ampleur et la brutalité restent sous-estimées par beaucoup parce qu’on ne les subit de la même façon. Selon l’étiquette avec laquelle on peut être catégorisé (« noir », « arabe », « juif », « blanc »...), les difficultés rencontrées dans tous les actes de sa vie et tout au long de celle-ci ne seront pas les mêmes. Un truc aussi con, aussi banal que la couleur de l’épiderme conditionne totalement ce qu’un être humain va devoir encaisser, et à un niveau dont il est difficile de prendre conscience quand on ne le vit pas directement et en permanence.

La nécessité de résister collectivement face à la pression toujours plus pesante des discriminations et de l’exploitation n’est pas nouvelle. La difficulté à capter ce qu’encaissent les autres non plus : il n’a jamais été simple, même quand on essaie, de prendre la mesure de ce que l’on ne connaît pas dans sa chair. Il en va ainsi pour toutes les formes de ségrégations, qu’elles soient sociales, sexistes, homophobes ou autres. Qui n’a jamais erré sans savoir où dormir aura bien du mal à ressentir un minimum ce qu’endure un SDF. Un mec pourra toujours (ce qui n’en reste pas moins nécessaire) tenter d’imaginer la tension permanente liée au fait de subir sans cesse le harcèlement, la phallocratie, le mépris de mâles dominateurs... de là à vraiment en saisir l’intensité, c’est une autre affaire. Et le problème devient évidemment encore pire quand les oppressions se superposent.

Mais, avec la montée en puissance ces dernières décennies de l’individualisme, du consumérisme, du repli sur soi, avec la pression des réseaux dits sociaux qui transforment des relations humaines en spectacle virtuel, avec la systématisation de la mise en compétition de tous contre tous, les séparations artificielles entre humains se sont creusées et la capacité à appréhender le quotidien des autres s’est encore dégradée. Epuisées par la généralisation du fatalisme, par la fragmentation du prolétariat en différentes identités, par l’atomisation des luttes sociales supplantées par un défaitisme isolateur, les dynamiques de solidarité émergent moins facilement. Et les possibilités de prendre la mesure des diverses formes d’oppression se raréfient.

Cet affaiblissement des luttes de terrain se traduit par une perte de lieux et de moments pour discuter, échanger, apprendre à se connaître, partager les vécus, réduire les incompréhensions. Autant d’occasions en moins de faire voler en éclats le cadre figé d’un quotidien générateur de repli individualiste. Car ce n’est pas sur les réseaux sociaux, mais sur le terrain, en se rencontrant directement, en tchatchant, en s’engueulant (pas trop), en se réconciliant, en s’embrassant (beaucoup), en encaissant des coups (pas trop), en les rendant ensemble et en en buvant (beaucoup) que se crée du commun et une intelligence collective capable de menacer les fondements de cette société foncièrement inégalitaire. L’Etat, qui l’a compris, réprime au plus vite toute tentative d’occupation qui permettrait de s’auto-organiser.
Si, depuis 2016 et les cortèges de tête, il existe à nouveau des moments forts d’explosion sociale, les conséquences de la tendance générale au recul des luttes de terrain se font néanmoins sentir sur le quotidien comme sur le temps long. Les occases pour se rencontrer, partager des points de vue, construire du commun, mêler des expériences et s’organiser hors des logiques de parti restent trop rares.
Pire cet essoufflement laisse la place à un vide peu à peu occupé par une multitude de démarches réformistes voire institutionnelles qui s’empressent de le combler à leur manière. Le constat de l’essor, dans les médias comme dans les facs, de thèmes liés à diverses formes de ségrégation aurait pu inciter à se réjouir. Pourtant une question s’impose  : quand elle n’est pas purement réactionnaire, leur approche, qu’elle soit droit-de-l’hommiste, condescendante ou politiquement correcte, permet-elle de cerner la réalité de la domination  ? Cantonnée au spectacle, au virtuel, elle crée du sensationnel, du misérabilisme, de l’artificiel catégorisé selon leurs grilles d’analyse. Mais comment peut-elle aider à ressentir, à comprendre ce que peuvent encaisser des personnes victimes de discrimination  ? Quid du lien social  ?
Universitaires comme journalistes, formés pour faire entrer les humains dans des cases, présentent une fâcheuse tendance à reproduire avec une arrogance péremptoire les schémas que l’institution leur a inculqués. Leur statut de «  sachants  » leur servant à présenter publiquement leurs modèles comme vérité incontestable, certains se font forts de définir des identités avec lesquelles ils nous trient, nous enferment, nous réduisent à l’état d’objets d’études ou de bêtes de spectacle. Se pensant investis pour assigner d’office à chaque humain une catégorie et un comportement figé associé à cette case de façon définitive, ils nous emmurent dans un cadre hermétique. Et, s’il y a une chose que leur système ne peut admettre, c’est que l’on ose briser ses frontières et déroger à ses règles. Comme toute structure visant à asseoir sa normalité, il peut difficilement tolérer celles et ceux qui oseraient chevaucher ses différentes catégories, ou pire être indéfinissables.
En phase avec la vague atomisante de l’individualisme consumériste, leurs modèles ne supportent pas non plus les expériences de résistance collective et encore moins l’esprit critique qui peut y naître. Ils tendent à les remplacer par des rapports de médiation dans lesquels la vérité et notre quotidien nous sont expliqués par de prétendus détenteurs du savoir qui n’aspirent qu’à nous lobbyser.

Si le moule des hautes études ne parvient pas toujours à formater les esprits, on ne s’étonnera pas de voir des universitaires ou des penseurs de gôche compatibles avec l’idéologie sociale-libérale poser sur les plateaux télé et dans des revues. Rien de surprenant à ce qu’ils y récitent leur catéchisme institutionnel ou y vendent leurs pseudo-solutions réformistes. Ils y préconisent d’aménager la persécution avec de « nouveaux droits » catégoriels définis en fonction des identités qu’ils nous imposent, avec un nouveau moralisme judéo-chrétien, avec de nouveaux guides, eux en l’occurrence, mais pas de s’attaquer aux racines de la domination... Au moins font-ils preuve d’une certaine cohérence : assurément révolutionner ce monde n’est pas leur but. Leurs discours parquant les exploités dans des rôles prédéfinis de victimes incapables de remettre en cause les fondements de cette société ne visent clairement pas à ébranler le modèle à la base de l’asservissement.

Pourtant, avec leur côté donneurs de leçons de morale, ils ne manquent jamais d’afficher un certain radicalisme de façade. Il suffit qu’ils fassent le buzz en prenant le contre-pied publiquement d’une crevure réactionnaire connue, et c’est parti : la logique binaire du spectacle fait qu’ils entraînent dans leur sillage idéologique des gens sincères mais happés par le rouleau compresseur médiatique et trop pressés de voir les réacs enfin mouchés sur les écrans.



Néo-Torquemada

Les Facebook, Twitter et autres réseaux fascinées par le gore, les bourreaux ou leurs victimes ne sont pas en reste. Reproduisant à son tour ce spectacle dans une version démocratisée, la Toile regorge de cyberjusticiers assénant à leur manière ce catéchisme missionnaire dans des shows tant moralisateurs sur la forme que réformistes sur le fond.
Retranchés derrière leur clavier, ils pourchassent sans relâche les comportements suspects de déviance par rapport à l’ordre moral qu’il veulent imposer. Peu importe les ressorts jouant sur des réflexes nauséabonds, ils fouillent, ils épluchent les propos de tout un chacun afin d’y déceler le Mal.
Or, quand un commissaire politique le veut, il trouve. Il n’a qu’à interpréter à charge. Peu importe qu’un fait, qu’une intention ne soient pas avérés, il suffit que ça puisse être éventuellement vrai. Le déclaré «  coupable  » sera dénoncé et lynché en place publique en moins de temps qu’il n’en faut pour vérifier la véracité des accusations. Peu importe, il faut des victimes expiatoires, il faut des exemples. Ça aura toujours une fonction pédagogique. Autre arme pour les néo-Torquemada : pousser toujours plus loin la liste des attitudes suspectes, établir encore plus d’interdits, de règles rigoristes présentées comme indiscutables.

Bien sûr, la propagation d’idées racistes, sexistes, homophobes doit partout être combattue sans relâche. La question n’est évidemment pas de savoir s’il faut, ou non, s’attaquer énergiquement à ces maux, elle est : comment ? Comment saper leurs fondements ? Comment ne pas reproduire des formes d’aliénation ? La question est de s’interroger sur ce que produit une chasse aux sorcières dont la justice intégriste ne peut s’embarrasser de la justesse des faits et rappelle plutôt l’Inquisition et le stalinisme. S’interroger sur une manie du flicage qui reproduit sans cesse la logique de l’Etat. Sur une police de la pensée qui, guettant la moindre déviance, passe son temps à juger, à sous-peser la vertu de tout un chacun mais ne s’attaque jamais aux racines des problèmes, jamais aux rapports de pouvoir, jamais fondamentalement à cette société de classes, pourtant la base sur laquelle s’appuient toutes les oppressions. Il s’agit de s’interroger sur une idéologie qui préfère démonter les individus que les idéologies.

La question est d’examiner le fond et la forme d’une offensive moralisatrice qui, portée par une vague adossée au modèle libéral anglo-saxon, affirme sa compatibilité avec cette société  : marquage identitaire doublé d’une gestion individualisante des rapports sociaux, stratégies légalisatrices de droits et de devoirs reconnus par l’Etat, judiciarisation, puritanisme... Une campagne armée d’un soft power à l’influence redoutable, souvent révélatrice de la capacité de renouveau de l’impérialisme culturel américain, toujours magnétique, toujours insidieux, toujours générateur de phénomènes de mode.
Entretenir et exporter une pseudo-contestation qui ne cherche surtout pas à démonter cette société de classes mais uniquement à l’améliorer et à l’intégrer... Le capitalisme et sa mascarade démocratique n’ont pas trouvé mieux pour endormir toute envie de renverser la table.

Ce qui est en question, c’est de parvenir à gratter ce vernis sociétal, à démolir cette façade qui masque derrière son décor une coquille vide, à balayer cet écran de fumée qui cache une volonté de ne rien changer en profondeur tout en prenant de grands airs indignés. C’est d’être capables de remettre en question le show organisé autour de cette vague tant libérale que puritaine, de déjouer le confusionnisme binaire qui condamne à la double-pensée et justifie bien des lâchetés. C’est d’oser faire voler en éclats le terrorisme intellectuel qui veut interdire, en l’assimilant à une collusion avec la réacosphère, toute dénonciation du spectacle «  politiquement correct  ».
C’est de ne pas tomber dans le piège qui, dictant sa vision duale du monde, ne veut laisser d’option qu’entre deux camps présentés comme ennemis, à l’instar du chantage exercé par les staliniens qui traitaient de suppôt du capital les révolutionnaires osant les critiquer. C’est de ne pas se laisser enfermer dans des problématiques nous imposant un antagonisme bidon entre deux illusionnismes qui prétendent représenter des pôles opposés mais qui de fait restent inscrits dans le même schéma. Celui de cette société, de l’Etat, du capitalisme, de la délégation de pouvoir.
Pour ou contre ceci ou cela n’est pas toujours la bonne question. Face à l’injonction de se positionner sur des sujets biaisés, fondés sur des concepts linéaires, niant les problèmes dans leur totalité, surgit le besoin de faire exploser les cadres imposés, de remettre en cause les choses de façon plus globale, radicale, subversive. Le besoin de révolutionner ce monde. Et qui dit révolution dit nécessité de pouvoir tout questionner, tout critiquer, sans exception. Les rapports de domination, d’aliénation allant se loger n’importe où, rien ne peut être considéré comme indiscutable, quelles que soient les idéologies, les religions, y compris le marxisme et l’anarchisme !

Limitantisme

D’autant plus que cette déferlante moralisatrice n’est pas sans effets sur des milieux militants résignés au point d’abandonner tout espoir de renverser le pouvoir de l’Etat et du fric. Souvent plombées par le peu de perspectives autres que la quête désespérée de pureté doctrinaire ou la promotion de nouvelles revendications visant à aménager le capitalisme, les dynamiques contestataires peuvent se montrer réceptives à ces idéologies manichéennes prônées par des universitaires et autres maîtres à penser de gôche. Surtout quand leur fonds de commerce est l’aseptisation de l’exploitation via une combinaison entre demande de droits catégoriels et avènement d’un nouvel ordre moral « idéal ».
Certes les différentes mouvances «  révolutionnaires  » ont toujours été marquées par une certaine propension à vouloir recycler le christianisme dans des versions «  radicales  » ou par la croyance, liée mais inavouée, que l’on pourrait transformer cette société de classes en jouant le jeu de ses institutions...
Le phénomène n’est pas nouveau, il est même typique de l’extrême gôche classique. Ce qui l’est en revanche, c’est la façon dont ce spectacle binaire se diffuse au sein des différents secteurs de la société. C’est l’hégémonisme dont cette idéologie moralisatrice veut user pour s’imposer comme vérité établie, indiscutable, normative. Pour traiter toute remise en cause comme une absurdité, voire une monstruosité. Pour interdire toute idée subversive.
Porté par des personnalités se prévalant de leur statut de spécialiste (attribué par des grandes écoles ou des universités), ce courant incite même à accepter que la réflexion ne soit pas le fruit collectif d’expériences partagées au sein des luttes sociales mais soit ordonnée par des penseurs. Des penseurs qui n’ont du terrain et de ses réalités qu’une vague idée, avant tout théorique. Des censeurs qui régurgitent une vision universitaire du monde porteuse d’une division sachants-ignorants les rendant imperméables, et pour cause, à l’intelligence collective qui se crée tout au long des conflits sociaux.



Penseurs-censeurs

N’a-t-on jamais entendu en substance : «  Quoi ? Tu n’as pas lu le dernier livre d’untel ? Et tu ne comptes pas le faire...  » Ou encore : «  Comment peux-tu avoir un point de vue différent du mien, c’est écrit dans les livres  !  » Certains experts, certains essais font donc autorité... La voie de la vérité est établie, elle passe par la verticale institutionnelle. Notre révolte devrait nous être expliquée et orientée par des universitaires...
Qu’une élite puisse tenter de confisquer la conscience collective des luttes n’a rien de nouveau, les léninistes ont toujours fait ça, persuadés de détenir l’unique bonne ligne politique. Mais que ça recommence et semble admis à ce point parmi celles et ceux qui essaient de révolutionner le monde... Il y a de quoi prendre peur. On en a le vertige. Le vertige face au vide collectif qui autorise des sociologues à prétendre nous expliquer non seulement ce que nous vivons au quotidien mais aussi ce que nous devrions revendiquer et même penser.

Pour mesurer la puissance d’infiltration de cette propagande idéologique, il suffit d’observer comment les problématiques qu’elle impose peuvent être régénérées dans des discours pourtant présentés comme «  antagonistes  ». On constatera combien cette tendance s’accompagne d’un positionnement tant identitaire que victimaire. On remarquera l’exacerbation d’un intégrisme dont les bases judéo-chrétiennes sont à peine voilées. Emprisonnées dans les logiques fixées par le spectacle de la démocratie de marché, empêtrées dans des réflexes de contre-pied ne s’attaquant pas au cadre imposé et encore moins aux sources du problème, ces théories manichéennes tendent à remplacer toute pratique collective de questionnement critique par la volonté d’installer un ordre moral. Fondé, comme tous les autres, sur un culte de la pureté, celui-ci ne tolère pas la moindre remise en cause, le moindre doute, la moindre déviation. Quiconque s’y risquerait sera automatiquement suspecté et rapidement menacé d’excommunication.
Notons en passant que peu s’y essaient... l’ordre règne ! On n’est pas dans la recherche d’émancipation mais dans le domaine de la soumission à une idée binaire du Bien et du Mal où il ne peut y avoir que des gentils et des méchants, des intègres et des impurs... Comme si les victimes ne pouvaient pas parfois être aussi des exploiteurs. Comme si de tout temps les prolétaires mecs n’avaient pas eu tendance à dominer leurs femmes. On ne cherche pas à lutter collectivement contre l’aliénation qui touche l’humanité, on passe son temps à juger, classer, catégoriser les individus.

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