La lutte antifasciste ne semble pas vouloir combattre le fascisme sous toutes ses formes, notamment celle de l’islamisme [1]. En effet, la volonté de l’Etat de dissoudre l’association humanitaire BarakaCity qui vient en aide aux musulmans persécutés dans le monde entier, comme les Rohingyas en Birmanie ou encore les Ouïghours en Chine, a été contesté par des groupes antifascistes comme l’Action Antifasciste Paris-Banlieue ou l’Action Antifasciste Nantes et plus récemment le GALE. Or, dans ce cas précis, l’association est dirigée par un salafiste notoire, Idriss Sihamedi, qui ne cache pas ses opinions, si tant est que l’on puisse tolérer dans notre camp politique d’appeler ça une opinion. A titre d’exemple, celui-ci a affirmé que la pandémie était une bénédiction car elle lui permettait de refuser de serrer la main des femmes au travail [2]. Il a également assuré son soutien aux talibans après la conquête militaire de l’Afghanistan par ces derniers [3]. Bien évidemment, il ne cache pas non plus son antisémitisme [4]. Aussi, sa demande d’asile politique à la Turquie n’est pas anodine lorsqu’on sait que le fasciste turc Erdogan soutient militairement Daesh au Nord-Est de la Syrie [5].
S’il peut être affirmé que la menace islamiste est exagérée par les médias, la droite ainsi que l’extrême-droite, il est de bon ton de rappeler qu’une partie non-négligeable des combattants au Moyen-Orient dont notre camp politique se fend d’aller affronter en Syrie, sont originaires ou bien ont grandi en Europe de l’Ouest. Il en va de même de la quasi-intégralité des attentats commis en Europe. Ainsi, il est systématiquement reproché aux camarades qui dénonceraient notre aveuglement face à l’islamisme d’être islamophobe tout en continuant à revendiquer leurs participations à la lutte contre Daesh au Rojava. Nous ne devons pas accéder de telles contradictions au sein de notre camp.
Ceci n’est pas sans rappeler le soutien de l’extrême-gauche à la révolution islamique en Iran durant les années 70 et l’ignorance de l’existence de forces révolutionnaires au Maghreb durant les années 80 qui se sont faites massacrées dans l’indifférence, laissant place aux courants obscurantistes dans les années 90 comme le FIS en Algérie ou les Frères Musulmans en Egypte, dont l’influence n’a fait que s’accroître. En dernière analyse, il est de bon ton de rappeler qu’en 1959, ce sont des ouvriers et des paysans irakiens qui brûlaient des Corans tout en voulant expulser les impérialistes occidentaux de leurs pays [6] [7].
L’islamisme que nous dénonçons n’est en rien une vision rigoriste, radicale ou extrême de l’islam traditionnel. En réalité, l’islamisme est un pur produit de la modernité né en réaction à la crise que nous sommes en train de traverser, de la même façon que lors de l’avancée du capitalisme et de la dépossession de la vie, les identités nationalistes ont pris de l’ampleur. En effet, l’extension du capitalisme et de ses logiques mercantiles à l’ensemble de la planète, la destruction des liens sociaux et du sens que prend toute cette logique productiviste poussent les gens à se retrancher dans des identités religionistes, identités qui étaient pour certaines personnes qui les embrassent complètement inconnues quelques mois voire semaines avant leur « radicalisation ».
Si en Europe, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient elle prend la forme de l’islamisme, nous ne sommes pas sans ignorer qu’en Amérique du Sud ou dans certaines parties de l’Afrique ce sont les sectes évangélistes qui assurent ce rôle. Pour permettre à de nombreuses personnes de se rallier à ces projets réactionnaires, ces groupes religionistes organisent la solidarité dans les marges du système capitaliste, remplaçant le rôle de l’Etat, supplétif du Capital [8]. C’est pourquoi la lutte contre le fascisme n’est pas seulement la lutte contre la barbarie (entendu au sens de la formule « Socialisme ou barbarie » de Rosa Luxemburg) mais également la lutte anticapitaliste. Car s’il est bien une raison de la montée de ces fascismes, qu’ils soient occidentaux ou islamistes, c’est l’augmentation de la précarité et le délitement des liens sociaux dans une société mondialisée où chaque individu est en lutte avec son prochain, et ce à toutes les échelles.
Ces œillères concernant l’islamisme ont également pour conséquences de propager un antisémitisme « doux » au sein de notre camp politique. En effet, depuis la seconde Intifada menée par le Hamas et le Jihad islamique, « l’abolition d’Israël » plutôt que la contestation de sa politique d’apartheid en Palestine est devenue une idée courante au sein de l’extrême-gauche alors même que le FPLP avait reconnu l’existence d’Israël depuis 1988 [9]. Ce faisant, la gauche israélienne qui affirmait alors que personne ne voulait détruire Israël s’est fait décrédibiliser par les faits et a observé la dégringolade de son influence face à celle de la droite et de l’extrême-droite israélienne qui ont durci les conditions de vie ainsi que la guerre menée aux Palestiniens [10].
D’autre part, la percée d’opinions controversées au sein du mouvement décolonial par la mouvance indigéniste n’a jamais été critiquée ou bien partiellement, comme par exemple l’homophobie et l’antisémitisme latents ainsi que le soutien au Hezbollah et au Hamas de Houria Bouteldja [11] [12]. En conclusion, par opportunisme, l’extrême-gauche refuse de prendre au sérieux l’islamisme qui partage plein de points communs avec nos ennemis fascistes. Il arrive parfois même que l’on retrouve certains d’entre eux dans les cortèges de la Manif pour tous [13].
Enfin, rappelons qu’en 2005 lors des émeutes, ce sont les imams qui ont appelé au calme tandis que les banlieues s’insurgeaient contre les inégalités toujours plus grandes qui les séparaient du reste des Français. De même, ce sont des salafistes qui souhaiteraient foutre dehors les sans-papiers de la Guillotière [14] … S’il est évident que la lutte contre l’islamisme n’est pas évidente tant l’amalgame entre islamisme et islam est pratiqué régulièrement par les médias, la droite et l’extrême-droite et que leurs réseaux sont bien mieux organisés et soutenus par des puissances étrangères, celle-ci ne doit pas devenir absente de nos luttes. Notre antifascisme se doit d’être sans compromis.
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