Cher Sébastien,
Je t’écris aujourd’hui parce-que je suis en colère.
Je suis en colère parce-que j’ai lu les paroles que tu as prononcées sur RTL ce 20 mars dernier.
Je vais les rapporter ici comme l’a fait Europe1 :
Il reste encore « quinze jours ou trois semaines » à certains qui veulent rester pour « se déclarer exploitant agricole », il a estimé que les « militants de l’ultra-gauche violente » ne « seront jamais agriculteurs ».
Alors je vais me présenter rapidement : je suis fils d’agriculteur et d’agricultrice. Un « vrai ». Qui déclare tout-bien comme il faut, qui répond aux normes (et même en a co-rédigé parfois), sur une exploitation bien comme il faut. Une exploitation un peu petite, certes, mais largement dans la Surface Minimale d’Installation (SMI).
J’ai moi-même été agriculteur à mon compte. Un peu moins investi, mais je continuais bien à faire dans le cadre des engagements dus à l’État, la Région, la DDA, l’Europe, avec un comptable que je payais. Je faisais tout bien. Je n’étais pas « hors-cadre ».
Et je vivais en gagnant une misère. J’ai d’ailleurs dû faire cesser cette activité agricole pour cette raison. J’ai vécu la transition d’une époque à l’autre. Depuis celle à laquelle, comme mes parents avant moi, on pouvait vivre des ventes de ses produits vers celle où la moitié de mes revenus me venaient des aides, essentiellement européennes, et de ma capacité à remplir des dossiers.
Ces dossiers allaient bien entendu avec des engagements sur la manière dont je devais « mener mon exploitation », comme on dit. Des engagements qui, souvent ne faisaient pas sens avec ce qui aurait été rationnel économiquement, ou en terme d’insertion dans le territoire.
Je ne vais pas faire l’innocent, hein... mes difficultés venaient aussi de moi, et des circonstances climatiques. Mais pas que.
J’ai donc fini par arrêter le massacre.
Encore maintenant, quand je pratique une activité agricole (salariée, bien dans le cadre et très bien payée), environ 80% de mon salaire est financé par la communauté européenne... pas grâce à la vente des produits de l’agriculture. Bref, l’agriculture je connais. C’est un milieu dont je suis issu, et dans lequel je suis encore une bonne partie de temps.
Je dis une bonne partie du temps parce-que oui, cher Sébastien, l’agriculture conventionnelle et normée, en plus de ne pas payer, elle aigrit une partie des gens. Mais elle peut aussi en rendre d’autres critiques et combatifs.
Et oui, Sébastien. Le temps que ça m’a libéré m’a permis de me documenter, de me politiser plus que je ne l’étais déjà, et de devenir actif. Une activité que tu associerais certainement à celle de ces « militants de l’ultragauche violente ». De ceux que tu voudrais expulser à grands coups de tonfa et de gaz lacrymo’ (savoureusement ironique pour quelqu’un qui les taxe de violence, n’est-ce pas ?). De ceux dont tu dis qu’ils n’auront jamais une activité agricole.
Oui, j’ai été agriculteur. Oui, malgré mes pourtant très modestes contributions politiques, il est très probable que cet État dont tu fais partie m’ait « fiché S », classé comme par une police politique comme « ultraviolent » ou « appelant à la haine ». L’accusation en serait tellement ridicule qu’elle en devient terriblement amusante quand j’y songe.
Alors tu pourrais me dire que je suis une exception, Sébastien. Je tiens à réfuter d’emblée cette affirmation : des gens que je connais personnellement sur cet axe politique et avec un parcours agricole, je pourrais t’en citer une bonne douzaine sans même réfléchir, uniquement dans mon entourage.
Sébastien, ta lecture du monde et tes cases sont trop étroites pour saisir la réalité de ce monde. Un monde sur lequel d’autres incompétents t’ont pourtant donné trop de pouvoirs (même si, ne nous le cachons pas, tu n’es ici est pour d’autres qu’un pion qui me sert à exercer la critique de fond que je cherche ici à faire).
Le monde agricole conventionnel devient tellement difficile à vivre que je ne suis probablement qu’une partie d’une masse qui ne peut que grandir. Une masse contre laquelle il ne sera possible de lutter qu’en continuant à jouer la carte de la division. Démunis contre moins démunis. Salariés du privé contre fonctionnaires. Fonctionnaires contre cheminots... Nervis de la FNSEA [1] contre petite paysannerie.
Mais ce n’est pas tout.
Ce qui suit est écrit avec ce que je connais de la Zad de Notre-Dame-des-Landes que je ne connais qu’indirectement, de loin, depuis une autre région.
Même si une partie des gens présents sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, en plus de ne pas vouloir rentrer « dans les clous » (ce qui est déjà difficile, vu la pression qu’on leur fait peser dessus) n’a même pas envie d’avoir un début d’activité agricole j’ai envie de dire : « et alors ? ».
Sébastien, en plus de séparer consciencieusement (et de manière fallacieuse comme écrit ci-dessus) les gentils agriculteurs des vilains-zanarchistes-ultra-violents, ce que tu cherches à faire c’est de faire passer les arrachés de la zad pour une représentation de ce que sont tous les anarchistes.
Des arrachés que je respecte. Qui méritent ce respect. À la fois parce-qu’on à tous droit au respect, certes. Mais aussi parce-qu’ils ont trouvé pendant quelques années dans la Zad, dans ses interstice ou en plein milieu, aux abords de la route des Chicanes, un espace où vivre plus sereinement que dans le reste d’un monde policé, fliqué.
Toi qui a eu la chance - le mérite, diras-tu certainement, niant par là une certain nombre de déterminismes sociaux que tu participes ici à reproduire - de ne pas faire partie des exclus et des marges, tu ne sais peut-être pas ce que c’est que d’avoir un espace d’où on ne soit pas chassé. Tant mieux pour toi. Mais faut-il vraiment participer activement à la traque des autres ?
Sébastien, je vais te faire une fleur et ne pas partir du principe que tu es complètement idiot, même si c’est peut-être le cas. En fait, je pense que tu es volontairement malveillant. Parce-qu’en participant ainsi au débat, tu contribues évidemment à mettre la pression sur les habitants de la Zad.
Aux uns, les plus exposés et les plus socialement à la marge, tu fais planer la menace de ne plus avoir une petite place au soleil, même si c’est dans la boue d’un bocage où pourtant tu ne travaillerais jamais, y préférant le confort de ton bureau parisien.
Les autres, moins à la marge, n’osent plus se manifester pour défendre une zone que certains même, à l’image de ce vendu d’Anthony Meignen (qui a à peu près autant de rapport avec l’agriculture que toi, d’ailleurs) disent qu’elle n’est plus à défendre. Pour conserver leur lopin de terre, pourtant pas bien grand, ils acceptent de se diviser.
Et parfois à cracher sur ceux qui, parce-qu’arrachés, avaient déjà moins à perdre qu’eux. Ceux qui mériteraient pourtant leur plus grand respect car, même socialement à la marge et justement parce-qu’ils avaient moins à perdre, étaient parmi les premiers qui, quand il y en a vraiment eu besoin, osaient aller au contact. Quitte à prendre des coups encore plus violents de gens d’armes toujours mieux équipés qu’eux, toute aussi « ultraviolente » qu’ait pu être la résistance à l’aéroport.
Pour défendre leurs culs à eux, moins opprimés. Eux qui pourtant privent de plus en plus ceux qu’on appelait « arrachés » d’expression publique et, quand ils osent prendre la parole ailleurs malgré tout (ou pire, agir pour défendre encore un peu leur lieu de vie), se font conspuer. Pour un bout de terre ou quelques bulletins de vote aux prochaines élections.
Sébastien, ton jeu de la division, il pue. Et s’il fonctionne à merveille à court terme je peux t’assurer personnellement qu’à plus long terme, il ne fera qu’attiser nos colères à tous.
Je veux dédier ce petit texte aux « marginaux », aux paysans qui subissent les pressions de l’État même quand, parfois, ils lui cèdent. Et souhaiter qu’à chaque fois, tous, on cède plus difficilement. Pour, un jour, ne plus leur céder du tout.
Que crève l’État. Que crève le type d’économie qu’il soutient. Que crèvent leurs normes.
[1] Je ne veux d’ailleurs pas mettre tous les membres de la FNSEA dans le même panier, et je conseille à chacun l’écoute de l’excellente série « La fabrique du silence » dans l’émission « Les pieds sur terre », diffusée sur France Culture.
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