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On se crève au travail, que crève le travail !

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S’il est essentiel de lutter à partir du 5 décembre contre la réforme annoncée des retraites, notre réplique ne saurait s’en tenir à des luttes conjoncturelles visant simplement à sauvegarder l’existant. Puisqu’il est vain de mal vivre aujourd’hui pour survivre à peine demain, réaffirmons que le cœur de la lutte doit bel et bien viser le travail qui, sous ses formes actuelles, ne peut être autre chose qu’une violence et un renoncement.

S’il est essentiel de lutter à partir du 5 décembre contre la réforme annoncée des retraites, notre réplique ne saurait s’en tenir à des luttes conjoncturelles visant simplement à sauvegarder l’existant. Puisqu’il est vain de mal vivre aujourd’hui pour survivre à peine demain, réaffirmons que le cœur de la lutte doit bel et bien viser le travail qui, sous ses formes actuelles, ne peut être autre chose qu’une violence et un renoncement.

(Petite note avant de commencer : à Brest le rendez-vous c’est 11h, Place de la Liberté pour la manifestation, puis après la manif il y aura un repas et une assemblée de base pour réfléchir à la reconduction de la grève et plus largement à des moyens d’action pour ce mouvement à venir)

Pourquoi lutter à nouveau ?

Si nous serons dans la rue le 5 décembre, ce ne sera pas par plaisir de taquiner le pavé, par goût des promenades de santé sous la flotte de décembre, par atavisme militant ou habitude grégaire, par amour du folklore ou par pulsion de sacrifier une journée de salaire.

Pourquoi donc lutter à nouveau ? Parce que ce vieux monde est puant et va l’être encore davantage. Parce que nous refusons déjà cette piteuse retraite à 62 ans et que leurs 64 ans sont toujours le plafond de l’espérance de vie en bonne santé. Parce que cette réforme permettrait à nos chefaillons à venir de trafiquer la valeur des points au gré de leurs lubies budgétaires. Parce qu’en substituant au décompte actuel un système fondé sur l’ensemble de la carrière, on flinguera les plus précaires, les carrières hachurées, les temps partiels, les salaires de rien du tout – et, bien sûr, ce sont encore les femmes qui trinqueront les premières. Parce que les bouffeurs de homard pourront toujours placer leur épargne-retraite et — comme s’ils n’y avaient pas pensé tout seuls comme des grands — y seront même invités par d’appétissants avantages fiscaux. Parce que les massacreurs de la police et de l’armée, dont l’État compte bien se servir pour continuer à nous éborgner et exhiber leurs fusils d’assaut, snipers et autres joujoux d’apparat, sont les seuls exemptés de cette réforme de misère. Parce qu’une triste raison comptable d’État nous condamne à baigner dans le régime du moins-disant social au nom d’une « crise » qui n’est même pas la nôtre, mais celle des possédants, de leurs abus, de leur luxe, de leur sale besogne de privatisation des profits et de mutualisation des risques et des pertes. Enfin, parce que cette réforme révèle dans sa naïve splendeur la vanité et l’hypocrisie de cette clique de lambins, aussi prompts à se gargariser du nom de « République » qu’à piétiner à coups de gros rangers et de mocassins à glands les principes mêmes dont ils se prétendent les héritiers, ceux qui inspirèrent en 1944 à quelques résistants un système de « retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ».

La grande abdication

Toute une clique de clowns éditocrates pour laquelle l’idée de « pénibilité » se réduit à faire chaque matin en SUV le trajet du 16e arrondissement de Paris à un studio du 15e, se faire maquiller et passer sa journée le cul sur une chaise à lire des notes préparées par d’autres, nous placera du mauvais côté de l’histoire. On dégobille déjà, sur ces plateaux criards, contre le « conservatisme » des « gens » (« les gens », ça veut toujours dire « les autres ») qui « vivent dans le passé », refusent de « s’adapter », de se « moderniser », d’aller dans le sens du « progrès », de la « flexibilité », d’adouber sans jacter les « réformes » aussi « nécessaires » qu’« urgentes ». Interdisons-leur l’emploi de ces mots creux : il ne leur restera plus grand-chose à bavasser.

Comme d’habitude, ils y entravent walou. Nous ne sommes pas conservateurs, nous ne vivons pas dans le fantasme d’années passées et dépassées. Si nous ne voulons pas du 2020 qu’ils veulent nous refourguer, ce n’est pas que nous nous idolâtrons 2019, 1944 ou 1936. Mais ces marchands de rien arrivent à faire passer leur soupe. Les partis de gouvernement et syndicats de service se mettent à leur traîne : abandonnant tout espoir, englués dans leur défaitisme, ils meurent au crédit de leurs renoncements. Ceux qui animent ces grosses machines résignées sont incapables de voir que s’ils échouent même à sauvegarder l’existant, à arracher le status quo, c’est parce qu’ils ont renoncé à envisager du progrès. Leurs slogans en carton ne veulent que le maintien du même, parce qu’ils ont oublié d’exiger du mieux ; ils ont déjà perdu, parce qu’ils partent toujours perdants. Et, mollement, s’alignent les défilés sclérosés avec option ballons et mots d’ordre sans gouaille, comme pour dire au pouvoir qu’on ne fait que passer et qu’on ne veut surtout pas avoir l’air de déranger. Quelle morne abdication, quelle raison tronquée que celle qui refuse d’imaginer du changement pour autre chose que pour le pire. Pour notre part, nous ne voulons pas vivre « comme avant », nous voulons vivre toujours mieux, vivre d’une vie pleine : et la vraie question ici reste celle du travail.

La valeur du travail

Enfumés par l’illusion de travailler pour notre salaire, c’est bel et bien pour eux que nous travaillons, que nous produisons de la valeur. Pas besoin de lire de gros livres pour savoir que c’est notre sueur qui paye leurs yachts, leurs vacances, l’école privée de leurs chiards et la clinique de leurs croulants. Que ce sont nos troubles musculo-squelettiques (et notre business postcolonial) qui font augmenter le patrimoine de Bernaud Arnault de 792 euros chaque seconde et offrent à Lafarge le loisir de se faire du biff avec Daesh. Que ce sont nos angoisses et notre impuissance qui permettent aux banques de se faire chaque année 7 milliards d’euros sur nos seuls incidents bancaires — les sans-dents, ça rapporte — et aux groupes du CAC 40 de redistribuer les deux tiers de leurs bénéfices aux actionnaires contre 5% à nos gueules. Que ce sont les efforts de « ceux qui ne sont rien » qui autorisent les capitalistes à penser qu’ils sont tout. Qu’on claque un « pognon de dingue » pour traquer 60 millions de fraudes au RSA et qu’on colle de la ferme aux affamés pour un vol de sandwich en supermarché, sans se remuer pour les 3 milliards de fraudes fiscales de ceux qui ont eu la bonne idée de « traverser la rue » pour se payer un costard. Le tout avec son cortège d’humiliations, de harcèlements, de douleurs : celle de la caissière qui trimballe l’équivalent d’un éléphant chaque jour, celle du livreur à vélo qui se bouffe une portière par semaine, celle de la fille d’un suicidé de France Télécom à laquelle un patron avarié n’a rien su répondre d’autre que « c’est la faute de la dette » quand elle lui balançait, sévère et digne, dans la salle d’audience : « Vous avez tué mon père ».

Mais c’est aussi notre travail qui engraisse l’État, les policiers qui nous tabassent, les huissiers qui viennent nous soutirer notre télé ou notre baraque, les juges qui nous collent en zonzon, les profs qui nous hiérarchisent, les députés qui chouinent de devoir manger des pâtes parce qu’ils ne touchent que 5 000 euros par mois, les militaires qui vont bombarder des gens dont nous ignorons tout, sans qu’on nous demande notre avis, jusqu’au jour où on les retourne contre nous. Tous ceux-là vivent de nos misères, et pourtant ils sont nos maîtres. Encore et toujours, tout est à nous, rien n’est à eux.

La valeur-travail

Mais le fond de l’arnaque, le truc par excellence, c’est qu’ils veulent nous faire travailler — sans quoi ils n’existeraient pas, et leur indécence non plus. Nous avons une productivité telle qu’il n’y a pas 500 000 offres de travail pour dix fois plus d’inscrits chez Pôlot. Il y a bien longtemps que nous n’avons plus besoin de trimer autant pour produire à la hauteur de nos « besoins », même délirants. Si nous continuons à nous éreinter, c’est parce le travail a été érigé en vertu, en valeur, en obligation morale. Parce que le travail est la meilleure école de discipline et d’obéissance, d’ordre et de hiérarchie. Le labeur salarié est un labeur de serf ; un homme qui travaille est un homme dompté ; une femme au turbin est une femme acquise. Leur monde rafistolé ne tiendrait pas un quart de seconde si chaque personne ne travaillait plus que trois ou quatre heures par jour et occupait le reste de son temps libre à l’être réellement – et les mots ont un sens : c’est que le temps de travail est un temps d’esclave. Imaginez l’insubordination généralisée, si tous et toutes avaient les moyens de vivre une vie vraie, une vie d’humain. Voilà pourquoi ils nous ont imposé le travail comme unique modalité de réalisation de soi : c’est désormais en bossant qu’on doit devenir soi-même. D’où leurs team-building et afterworks avec des collègues qu’on ne peut pas piffer, leurs voyages de cohésion d’équipe et tous les petits dispositifs minables par lesquels ils essayent de nous faire croire que « le travail, c’est sympa ». Mais si l’on doit se réaliser par le turbin, c’est aussi par lui et en lui (amen) qu’on doit se définir : que l’on ose se présenter en soirée à des inconnus autrement que par son travail ; que l’on essaye donc de répondre par autre chose que par son travail à la question : « Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? ». Profession, piège à cons.

Tout cela n’est que magouille et pitrerie, puisqu’ils n’ont plus rien à proposer que des boulots de merde qui n’ont aucun sens, qui ne servent plus jamais à produire des choses vraies, qui nous aliènent même la fierté du beau geste ouvrier. Même ce qui produit du palpable perd son sens, dès lors qu’on élève des poulets ou fait pousser des tomates qui finiront dans une poubelle de supermarché (avec de la javel, pour ne pas casser les lois du marché), dès lors qu’on met la main à la pâte pour produire l’acier ou le plastique d’une trottinette électrique destinée à partir dans la Garonne avec son lithium pourri, après avoir trimballé la crème des imbéciles, prêts à payer 20 centimes la minute. Mais tout ça, désormais, il paraît que ce ne sont plus de vrais métiers : faut s’imaginer aussi, les types ils marchent dans la terre (alors que la terre c’est sale), ils bossent dans des usines (alors que les usines c’est sale), sans se rendre compte qu’ils pourraient comme tout le monde bosser en chaussettes dans un open space avec du top fun gazon artificiel et un patron-super-copain. Tout ça, c’est déjà un peu du passé, parce qu’on nous condamne à bosser au service d’entreprises elles-mêmes au service d’entreprises au service d’entreprises au service d’entreprises. Et ce néant n’est même pas le monopole du populo : on se demande toujours à quoi ça peut bien servir, un chief executive, un community manager, un chargé de projet en digital marketing ou un consultant en productique – et on espère qu’ils se le demandent aussi.

Mais au fond, le sens du travail est surtout un jeu truqué parce que nous n’avons qu’un seul travail, parce que tout est divisé, atomisé, spécialisé, et qu’il ne nous est pas donné de cultiver le matin, de fraiser l’après-midi et de chanter le soir sans jamais devenir cultivateur, fraiseur ou chanteur. C’est aussi un jeu truqué parce que nous avons le choix entre un surtravail débile qui nous arrache la vie, et un sous-travail stérilisant. Va donc te « réaliser au travail » en dormant quatre heures par nuit ou en jouant au Free Cell sept heures par jour. Et surtout, va t’y réaliser quand tu as sur le dos une clique de pseudo-experts sortis tout droit de leurs petites écoles de contremaîtres, qui viennent sous couvert de déconnades en franglish nous apprendre comment faire notre boulot.

Que crève le vieux monde !

Le 5 décembre et pour le reste de nos vies, on ne luttera pas pour la retraite « tout pareil qu’hier », parce qu’on ne marche pas dans la combine. On ne veut pas d’un « progrès » qui signifierait bûcher « un peu moins » comme un dératé, décaniller en faisant un cadavre « un peu moins » amoché, balancé entre quatre planches « un peu moins » cheap. On ne veut pas mal vivre aujourd’hui pour survivre à peine demain. On ne veut pas se sacrifier pour que nos enfants aient le droit de se sacrifier – de toute façon, ils ne viendront pas nous voir à l’EHPAD ces petits ingrats, ils auront trop à faire à payer leurs dettes, chercher une crèche, nourrir leurs mouflets, engraisser leur proprio et enterrer leurs rêves. À la lanterne donc, leur travail d’esclave qui, tel qu’il existe, ne peut être autre chose qu’une violence, un ennui, une dépendance, un sacrifice, à 64, à 44 et déjà à 24 ans. Nous voulons du travail qui ait du sens, qui ne sente ni la dèche ni la charogne, du travail par volonté et pas pour l’artiche, du travail qui ne soit plus la face visible de la lune alors que notre vraie vie végète dans l’ombre, du travail riche et pas du travail de riches, du travail qui nous fasse respirer, imaginer, labourer, gamberger, usiner, discuter, clouer, aimer, et tout ça dans la même journée : vingt-quatre heures, c’est long si on ne les use pas à larbiner. Ivres de rage et d’indignation, nos rangs seront serrés tant que n’aura pas crevé le vieux monde, tant qu’il y aura besoin de clamer, encore et encore, les beaux mots qu’Albert Libertad jetait déjà à la gueule des résignés de 1905 :

Ô je hais la résignation !
J’aime la vie.
Je veux vivre, non mesquinement comme ceux qui ne satisfont qu’une part de leurs muscles, de leurs nerfs, mais largement en satisfaisant les muscles des faciaux tout aussi bien que ceux des mollets, la masse de mes reins comme celle de mon cerveau.
Je ne veux pas troquer une part de maintenant pour une part fictive de demain, je ne veux rien céder du présent pour le vent de l’avenir.
Je me moque des retraites, des paradis, sous l’espoir desquels tiennent résignés, religions et capital.
Je ris, de ceux qui accumulant pour leur vieillesse se privent en leur jeunesse ; de ceux qui pour manger à soixante jeûnent à vingt ans.
Je veux la joie pour moi, pour la compagne choisie, pour les enfants, pour les amis. Je veux un home où se puissent reposer agréablement mes yeux après le labeur fini.
Car je veux la joie du labeur aussi, cette joie saine, cette joie forte.
Je veux être utile, je veux que nous soyons utiles. Je veux être utile à mon voisin, et je veux que mon voisin me soit utile. Je désire que nous œuvrions beaucoup, car je suis insatiable de jouissance. Et c’est parce que je veux jouir que je ne suis pas résigné.
Il n’y a pas de Paradis futur, il n’y a pas d’avenir, il n’y a que le présent.
Vivons-nous !
Vivons ! La Résignation, c’est la mort.
La Révolte, c’est la vie.

Vera Ščukina

Lu sur Paris-Luttes.Info

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  • date forum, par Boo

    Même si je suis d’accord sur le fait que l’esclavagisme est un mode d’exploitation nettement différent du capitalisme et que je peux comprendre que l’ont trouve cela maladroit, indécent ou méprisant de les comparer je trouve quand même ton raisonnement parfois problématique.

    Je pense que les différents systèmes d’exploitation et de domination peuvent être « comparés » dans le sens où on peut y voir des continuités, des similitudes et où fondamentalement, sur un plan politique, ils génèrent de l’aliénation, empêchent les individus qui y sont soumis (dominés comme dominants d’ailleurs) de réellement s’émanciper et de s’en y émanciper. Pour moi, faire cela ça n’empêche pas de voir clairement dans chaque système de domination et d’exploitation ses spécificités et n’amène pas forcément à minimiser leur impact sur les personnes qui y ont été soumises. On pourrait d’ailleurs se dire que dans une perspective de lutte contre la domination et l’exploitation, pour la liberté et l’égalité, il est important d’afficher une continuité. En gros, je pense que les gens qui produisent ce genre de continuité dans leurs écrits politiques ou autres le font parce qu’ils voient des similitudes entre un système qui les domine et un autre qui a eu cours auparavant notamment dans ce qu’il produit chez eux, de l’aliénation. Après, il y a aussi un côté « provoc » mais qu’est pas innocent du tout. Par exemple, dans certains textes et ou certaines banderoles anticapitalistes et anti taf tu peux retrouver la formule des nazis qui était dans le plus pur cynisme inscrite sur le fronton de Auschwitz : « Le travail rend libre ». Écrire ça dans un tract, sur une banderole quand tu développes tout un propos critique sur le travail, pour certains ça va être une saloperie inconsciente qui minimise la shoah en osant comparer le travail salarié et les camps de la mort. Pour d’autres, ça va être un moyen d’afficher radicalement leur dégoût du travail salarié, de l’exploitation et de l’aliénation qui en découle en brocardant en plus une idéologie totalitaire de merde responsable du massacre de millions de personnes. Je pense que tu peux retrouver la même logique chez les personnes qui critiquent l’exploitation capitaliste, le travail, l’aliénation et qui utilise le terme esclave par métaphore ou autre car il est très chargé en violence symbolique de part la violence et l’aliénation immense que le système esclavagiste recouvrait effectivement.

    D’autre part, si on suit ta logique jusqu’au bout, de ne pas comparer les différents systèmes, bah c’est valable aussi pour les rapports capitalistes eux mêmes puisque historiquement et en fonction des sociétés, des zones géographiques dans lesquels ces rapports prennent place, ils sont différents. Les rapports d’exploitation capitalistes actuels en France ne sont pas les mêmes qu’au XIXe siècle en termes d’intensivité et d’extensivité. Il en est de même si on compare le capitalisme en France, en Chine ou au Bangladesh. Cela ne nous empêche pas de nous référer à l’exploitation capitaliste et à l’aliénation marchande en permanence dans les milieux révolutionnaires et c’est une bonne chose car malgré les différences historiques, sociales et géographiques une logique commune se dégagent de ces rapports. Peut-être qu’il serait cool, plutôt que de faire une échelle de la souffrance des différents dominés à travers l’histoire, de créer une logique révolutionnaire commune, non aliénante, qui prend en compte nos spécificités tout en créant un « commun » politique.

    Après, juste lorsque tu dis que comparé aux esclaves dans le système capitaliste tu as le choix, pour moi là ça me dérange, parce que l’illusion du choix ou le « choix » multiple mais contraint c’est pas un choix. Pour moi, c’est juste une marche de manœuvre certes plus large que celle d’une esclave de plantation mais qui n’émane pas d’une personne réellement maître d’elle même puisque soumise au travail salarié et au dogme de la marchandise qui par leurs processus, leurs conditions, dépossèdent justement les individus non pas seulement de leur travail mais aussi d’eux mêmes. Allier à toutes les merdes genrés, patriarcales, racistes qui ont toujours cours sous le capitalisme, je trouve que le choix de se réaliser et de s’émanciper apparaît quand même sacrément limité actuellement... Y a aussi un truc qui me saoule quand on dit que les esclaves n’avaient d’autres choix que de fuir ou de se suicider et que je corrolère d’ailleurs avec ce que tu appelles un choix dans le cadre du travail salarié. Le truc c’est que y avait justement un autre choix qui était aussi celui de lutter, ce que d’ailleurs de nombreuses esclaves ont fait (par exemple la lutte de Toussaint l’Ouverture et ses partisans pour l’indépendance d’Haïti ou l’engagement d’anciens esclaves dans les troupes de l’Union lors de la guerre de sécession des États-unis ou tout simplement lors des nombreuses révoltes qui ont eu cours dans toutes les colonies). Et aujourd’hui bah c’est la même, on peut encore lutter de maintes et maintes manières. Alors attention, j’dis pas que c’est simple, que les gens qui ne luttent pas sont de grosses merdes esclaves du système, comme on peut entendre dans certains groupes politiques révolutionnaires et j’pense que dans le cadre de l’esclavage vu les conditions d’exploitation et les conséquences en terme d’aliénation ça devait être sacrément compliqué.

    Enfin, et ça c’est juste parce que j’en ai marre de voir ça, l’esclavage ne se résume pas historiquement à l’esclavage colonial. Celui-ci s’est développé durant la période moderne et était fondé sur le racisme tout en ayant aussi largement renforcé par dans son processus historique le racisme colonial et biologiste. Bien sûr, c’est aussi une des formes d’esclavages qui a le plus façonné les rapports de domination actuels basés sur des notions identitaires de type racial et donc racistes. Mais l’esclavage, c’est aussi l’esclavage antique, qui n’était pas basé sur une notion raciste des blancs supérieurs aux noirs ou d’européens supérieurs aux africains et au reste du monde mais plus sur des rapports de domination et de séparation basés sur l’idée des citoyens supérieurs aux barbares (comme à Rome ou Athènes par exemple). Il y a eu aussi un esclavage inter-africain qui n’était pas basé sur des rapports de domination racistes, du moins pas ceux ayant cours dans l’exploitation coloniale de blancs supérieurs aux noirs, mais plus sur des rapports de pouvoirs entre diverses sociétés africaines et en leur sein. Pis y a aussi toujours des esclaves actuellement, c’est à dire des gens qui ne sont pas soumis à l’exploitation du travail salarié et qui sont tout entier la propriété d’autres individus... Alors, je peux comprendre que des personnes focalisent sur l’esclavage colonial et raciste au vu de son impact sur le racisme contemporain mais y a un moment je trouve que ça vire presque au sacré cette histoire. D’ailleurs, le texte que tu critiques compare aussi le travail actuel à du travail de serf et ça n’a pas l’air de te choquer plus que ça. Pourtant, à l’instar de l’esclavage, le servage est un système d’exploitation différent du capitalisme. Et je pense, que comme tous les systèmes de domination ayant eu cours, le servage a aussi son importance en terme d’impact sur des rapports de domination plus actuels et notamment sur les rapports capitalistes et de classe. Mais qu’est ce qui fait que se référer à l’un ou à l’autre est plus indécent surtout si on se rattache au fait qu’ils produisent tout deux de l’aliénation ? De même, tu parles de mépris pour la descendance des esclaves. Alors pour moi ça c’est juste rendre les gens intouchables de part des pseudos identités qu’on leur colle dessus ou qu’ils se collent dessus. On peut d’ailleurs penser que des descendantes d’esclaves ou supposées tels juste parce qu’elles sont renois n’ont pas forcément envie de se référer à cette identité de « descendant d’esclave » pour ne pas justement qu’on les enferme dans telle ou telle case. Être sortie de la chatte de quelqu’un qui est sortie de la chatte de quelqu’un d’autre sortie elle même de la chatte de quelqu’un d’autre ne fait pas de moi forcément une part de ce qu’était socialement mes ancêtres. Du moins, cela ne devrait pas m’enfermer dans la situation d’exploitation ou de domination dans laquelle eux ils étaient. Même si la mémoire est importante pour les luttes et s’affirmer en tant que personne, elle ne doit pas non plus être aliénante et empêcher l’émancipation.

    Après, tous ces systèmes sont de toute manière des saloperies à abolir si on veut réellement s’émanciper un jour tant individuellement que collectivement et cela à l’échelle mondiale. Mon but n’est pas pour moi qu’on les sépare constamment en en faisant des objets sacrés mais plutôt de voir comment historiquement et politiquement ils se sont articulés et s’articulent toujours pour qu’on lutte efficacement contre car essentiellement ce qu’ils produisent chez nous c’est de l’aliénation, beaucoup de souffrance et au final une vie bien pétée. Et ça j’pense c’était valable au Ve sciècle av. JC à Rome quand t’étais un esclave germain, au XIIe siècle à Plougastel quand t’étais le serf du comte de Moncul ou en 2019 quand tu sers des burgers pour le compte d’une multinationale à des prolos tout pourris comme toi ou moi....

    Désolé pour le pavé également.

  • date forum, par Pouet pouet Tsouin Tsouin

    On en est encore en 2019 à comparer le travail salarial à l’esclavage, un système économique basé sur la possession d’êtres humain.e.s à qui l’on refuse ce titre, et qui sont considéré.e.s comme de la marchandise que l’on peut acheter, vendre, déplacer d’un point A (ex : Côte d’Ivoire) à B (ex : Nantes) sans autre forme de procès, que l’on peut exploiter jusqu’à la mort, dont la descendance appartient de facto au propriétaire. L’esclavage est un système économique construit sur les théories racistes qui font qu’aucun.e blanc.he n’a été réduit.e en esclavage par d’autres blanc.he.s. L’esclavage est un système patriarcal qui a provoqué le viol de dizaines (de centaines ?) de milliers de femmes par leur propriétaire, et ceci durant toute leur (courte) vie. Alors oui notre système est raciste et patriarcal ; est-ce suffisant pour les comparer ?
    J’ai eu de nombreux patrons : quand j’en ai eu marre, je me suis barré. Si je n’étais pas payé, je pouvais aller au prud’homme (procédure qui n’aboutis pas toujours, c’est vrai). Je signe un contrat qui défini le cadre dans lequel JE VENDS ma force de travail. Et c’est là toute la différence, même si la précarité m’oblige (et encore) a travailler, m’empêche de démissionner dès que j’en ai envie, fait que j’accepte plus que je ne devrais, il en reste pas moins qu’à la fin, J’AI UN CHOIX là où les esclaves n’en avaient pas d’autres que de se suicider ou fuir (ce qui revenait pratiquement à la même chose). Oser comparer notre système capitaliste ultra libéraliste à l’escavagisme, c’est au mieux de la bêtise, au pire un mépris pour toutes les personnes qui ont été un jour esclaves, ainsi qu’à leur descendance. Si ce système doit être détruit, ce n’est pas pour ses points communs avec d’autres systèmes d’oppressions mais juste parce qu’il est ce qu’il est : mortifère pour les prolos, pour les groupes minorisés, pour tout le monde sauf pour les dominant.e.s.
    Désolé pour le pavé...

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